La Grande Interview : Julien Liponne

Dès que la route se cabre, Julien Liponne est parmi les tous meilleurs amateurs français. A 31 ans, le grimpeur de Bourg-en-Bresse Ain Cyclisme est ainsi l'une des révélations de la saison. Ses performances sur les épreuves UCI (6e du Tour des Pays de Savoie et 9e du Rhône-Alpes Isère Tour) et sa régularité à haut niveau depuis le mois d'avril le placent actuellement en 11e position du Challenge DirectVelo. La clef de sa réussite ? Avoir quitté son emploi d'ingénieur pour vivre à temps plein comme un cycliste. A rebours de ses adversaires, qui se dévouent au sport plus jeunes, Julien Liponne a choisi d'assouvir sa passion à la trentaine passée. Du coup, il se sent avec "un mental très frais et une bonne marge de progression physique", comme il le confie à DirectVelo.com, entre deux éclats de rire heureux. Cet hiver, après une saison "bien pleine" en Europe, le grimpeur de la région lyonnaise courra en Asie, dans une équipe Continentale chinoise - il l'avait déjà fait en 2013. En attendant peut-être d'atteindre son nouvel objectif : signer un contrat professionnel sur une plus longue durée.

DirectVelo.com : Au début des années 2000, tu étais un coureur relativement moyen sur les plus grandes courses Espoirs. Dix ans plus tard, tu es l'un des meilleurs amateurs au calendrier. Que s'est-il passé entre-temps ?
Julien Liponne : J'ai changé de vie ! Avant, compte-tenu de mes études puis de mon emploi, j'étais capable de faire un "coup" de temps en temps, mais je ne restais pas à ce niveau sur toute l'année. C'était encore valable l'an passé sur le Rhône-Alpes Isère Tour : je suis arrivé à court de forme. Cette année, j'ai pu me préparer dans de bonnes conditions [et il se classe 9e au tableau final, NDLR]. Sur la troisième étape, autour de Saint-Maurice l'Exil, j'étais dans la bonne échappée. Nicolas Edet (Cofidis) m'a dit : "Ici, il n'y a que des pros. Si tu es là, c'est que tu es fort. Donc tu prends tes relais comme les autres !" Je termine 4e (lire ici). La cerise sur le gâteau, c'est que l'étape passait à domicile. J'ai vécu un grand moment ce jour-là.

« J'AI ROULE PLUS SERIEUSEMENT A PARTIR DE 2009 »

Même bond de géant sur le Tour des Pays de Savoie : tu galérais au début de tes années Espoirs et tu finis 6e en juin dernier (lire ici)...
Auparavant, j'ai couru l'épreuve deux fois, quand elle n'était pas enregistrée au calendrier UCI. Je portais alors le maillot de la sélection Loire puis celui de l'UC d'Affinois Pélussin. J'avais fini très loin. Il faut dire que j'étais ennuyé par des allergies au pollen... Aujourd'hui, mes problèmes d'asthme sont résolus parce que nous avons une mauvaise météo cette année : il ne se passe jamais plus de quatre ou cinq jours sans pluie, donc les pollen n'ont pas le temps de rester dans l'air. Mais ce n'est pas uniquement la fin de mes allergies qui m'a aidé à atteindre ce niveau.

Tu fais référence à ton choix de te consacrer au cyclisme ?
En effet. Je suis ingénieur en contrôle commande et j'exerçais mon métier à temps plein ces dernières années, en pratiquant le vélo sur mon temps libre. A partir de l'hiver passé, j'ai eu envie de ne faire que du sport pendant une ou deux saisons, pour voir jusqu'où je pouvais aller.

D'habitude, on fait ce choix plus jeune !
Oui, mais je n'y pensais même pas autrefois. J'ai pris ma première licence de cyclisme sur route à 18 ans, après avoir fait du VTT et du triathlon. La priorité absolue, c'était mes études en école d'ingénieur. Après quoi, j'aurais pu me consacrer au vélo pendant un an ou deux. Mais j'avais trouvé un emploi avant même la fin de ma scolarité. Pour valoriser mon diplôme, j'ai préféré entrer au plus vite dans la vie active. Je me suis mis à rouler plus sérieusement à partir de 2009, une fois que j'ai obtenu mon diplôme.

« APRES TOUT, ON N'A QU'UNE VIE ! »

Est-ce que, à l'image d'un coureur de 20 ans qui dédie son temps au cyclisme, tu cherches à passer professionnel ?
Oui, ce serait super. Mes résultats sur les courses 2.2 cette année montrent que j'ai le niveau pour être dans le peloton pro. J'ai donc écrit à quelques équipes, mais sans retour pour le moment. J'y crois encore pour 2015. Sinon, je resterai une saison de plus avec Bourg-en-Bresse Ain Cyclisme.

Si cet objectif ne se concrétise pas, alors tu retourneras à ton métier d'ingénieur ?
Oui, sauf si je gagne au loto (rires) ! Plus sérieusement, je ne sais pas comment je concilierais le cyclisme et mon emploi car, après avoir goûté aux possibilités de faire du sport à haut niveau, il sera certainement difficile de s'entraîner de nouveau le soir... Quoi qu'il en soit, je prends mes deux années de cyclisme comme un immense plaisir. Je fais les plus belles épreuves du calendrier amateur dans de belles conditions, je roule avec une équipe qui tient la route et qui a un très bon état d'esprit, et enfin je peux glaner ci et là des résultats. Quelle expérience ! Si je peux me permettre de vivre de ma passion, je le fais à fond. Aujourd'hui, je profite... Après tout, on n'a qu'une vie !

Sur le Tour des Pays de Savoie, tu étais le coureur le plus ancien du peloton. Qu'est-ce qui te sépare de tes plus jeunes adversaires ?
Fondamentalement, rien. Nous sommes dans la même situation : chacun d'entre nous se donne deux ans pour faire quelque chose dans le vélo. Voilà pourquoi je me sens tout neuf. Malgré mes 31 ans, j'ai un mental très frais et j'ai encore une bonne marge de progression physique.

« ETRE A ARMES EGALES »

C'est en voyant des plus jeunes te doubler dans les cols que l'idée a germé de te mettre ta carrière d'ingénieur entre parenthèses ?
Pas exactement. Je voyais que je marchais bien lorsque j'avais du temps pour m'entraîner. Par le passé, j'ai été classé 4e du Tour de Franche-Comté avant qu'un coup de Trafalgar soit déclenché sur la dernière étape. J'ai aussi fini 5e à Aubenas et sur le Tour du Pays Roannais, j'ai été virtuel du classement avant de chuter dans la dernière étape. Bref, je faisais des trucs. Surtout pendant les vacances quand j'avais l'occasion de me préparer. C'est ainsi qu'en 2013, j'ai bien figuré sur des épreuves dites "exotiques". Ça m'a donné des idées...

Ton ambition sur les courses françaises a donc monté d'un cran grâce à tes prestations au Tour du Rwanda (7e) et au Tour du Singkarak, en Indonésie (14e) ?
Oui. Ce sont des courses longues et très relevées, largement du niveau Elite en France. Au Rwanda, j'ai fait la connaissance de Merhawi Kudus [néo-professionnel au Team MTN-Qhubeka, NDLR]. On montait les bosses très vite. Au sommet nous étions encore une vingtaine alors qu'en France il n'y aurait plus eu que cinq coureurs. J'étais toujours dans le groupe de tête. Je voyais que je récupérais très bien d'un jour sur l'autre. Alors j'ai commencé à m'imaginer sur des courses par étapes dans la montagne, en France... Je savais que je pouvais rivaliser avec les meilleurs grimpeurs, à condition d'être à armes égales. Or, la moitié du peloton amateur fait du vélo à 100% et l'autre moitié ne travaille qu'à mi-temps.

Il existe cependant des exceptions ?
Quelques-unes. Je pense à Fred Talpin qui a un très gros potentiel et qui ne peut pas l'exprimer sur la durée, en raison de ses obligations professionnelles. Ou à Edouard Lauber, un sacré moteur qui a de bons coups de forces malgré le fait qu'il se lève à 5h du matin pour s'entraîner.

« DU GYMKHANA ENTRE LES VOITURES »

Lorsque tu étais ingénieur, tu étais toi aussi debout à l'aube ?
Je m'entraînais plutôt le soir, entre 18h30 et 20h30. Quand je travaillais en région parisienne, à la Défense, j'avais un circuit en ville. L'an passé, à Lyon, je finissais mes sorties par les quais de Saône, pour profiter de l'éclairage. Rouler en ville, c'est un peu spécial (rires) ! Je faisais du gymkhana entre les voitures et des départs arrêtés au feu rouge. Bon, ça rend tonique ! Mais pour tenir en longueur, c'est un peu juste ! (rires)

Cette année, tu ne te sens pas étriqué dans ta vie de cycliste ?
Non. Je n'ai pas changé mes habitudes. Je continue de me lever tôt. Et je ne gamberge pas. Certes, je vis une belle saison, bien pleine. Mais si ça ne va pas, j'arrête le sport et je retourne à mon métier d'ingénieur. Ma formation, c'est une assurance.

En plus du calendrier français, tu vas de nouveau disputer des épreuves en Asie ?
Oui. En fin de saison, je vais m'engager pour l'équipe continentale chinoise China Wuxi Jilun Cycling Team, managée par un ami chinois qui court à Bourg-en-Bresse. L'an passé, j'ai déjà tenté l'expérience. En un mois et demi, j'ai fait 21 jours de compétition ! (rires) Cet hiver, ne ne pense pas courir autant. Mais j'aurai du plaisir à retrouver les épreuves chinoises.

« DU RECUL SUR TA VIE D'OCCIDENTAL »

Qu'est-ce qui t'attire dans ce genre d'événements ?
Depuis 2012, j'aime bien ces rendez-vous "exotiques". J'ai eu l'occasion de disputer mon premier Tour du Singkarak avec le Team Reine Blanche, dirigé par Chantal Fédèle (lire ici). Depuis, j'aime découvrir de nouveaux pays. Ces courses-là, affiliées au calendrier UCI, sont très bien organisées et le nombre de spectateurs est très impressionnant. Quand tu vois la vie des gens en Indonésie ou au Rwanda, tu prends du recul sur ta vie confortable de petit Occidental...

Les voyages, c'est ce qui te plaît le plus dans le cyclisme ?
Oui, ainsi que l'idée du dépassement de soi et le plaisir de se retrouver entre équipiers, comme entre membres d'une petite famille. Les voyages, je ne m'en lasse pas. C'est un des charmes du vélo. Qui d'autre que les coureurs cyclistes connaît toutes les régions de France par cœur ?

Quelle est ta préférée ?
Le Parc du Pilat, entre Saint-Etienne et l'Ardèche, parce que c'est là que j'ai commencé le cyclisme. C'est une région de moyenne montagne près de Saint-Etienne. Les cols que l'on trouve sur la route normale sont plutôt roulant, mais si on s'écarte on trouve des sentiers de chèvres bien sympas. J'ai aussi beaucoup aimé les Pyrénées-Atlantiques, où j'ai fait mes études en 2007. Près du Marie-Blanque, il existe un autre col, encore plus dur, le Castet. C'est là que j'ai vraiment travaillé mon coup de pédale de grimpeur. J'aime bien le lieu. Quand tu es au sommet, tu es un peu au milieu de nulle part...

Crédit Photo : Philippe Pradier -  picasaweb.google.fr/PHPHOTO42
 

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