La Grande Interview : Nicolas Boisson

Jusqu'en 2011, Nicolas Boisson était pressenti pour rejoindre les rangs d'une équipe professionnelle. Ce rouleur réputé a été coéquipier de Thibaut Pinot et Kenny Elissonde au CC Etupes. En Equipe de France Juniors et Espoirs, il disposait de son rond de serviette. La Fondation de la FDJ lui avait exceptionnellement proposé un contrat de trois ans au lieu de deux. Et puis, tout s'est arrêté à 21 ans, en raison de problèmes hormonaux. La faute certainement au surmenage, comme il l'explique à DirectVelo.com : "J'ai voulu tout faire à 200% et ce fut une erreur". Trois ans plus tard, Nicolas Boisson a repris du service. Le 12 juillet dernier, il est même devenu Champion régional du contre-ma-montre Sénior, à Fraisans (Jura). Mais ce retour à la compétition sera de courte durée, promet-il. Aujourd'hui, le Franc-Comtois se consacre à son métier d'entraîneur. Il travaille à plein temps au B'Twin U19 Racing Team, un programme d'entraînement et de formation qui rassemble 15 Juniors et 4 Cadets (lire ici). "Cette structure me rappelle ce que j'ai connu de meilleur dans ma carrière : l'époque Juniors, les liens avec l'Equipe de France, l'accent mis sur les études..." Fort de son expérience, Nicolas Boisson apprend à ces jeunes à progresser vers le cyclisme pro qu'il n'a pas connu, et, par souci de durer, il leur fait souvent « lever le pied ». Un jour, il espère rejoindre ces jeunes dans une équipe professionnelle, en qualité d'entraîneur.
 
DirectVelo.com : La performance de ton ami Thibaut Pinot sur le Tour de France t'a-t-elle surpris ?
Nicolas Boisson : Oui et non. Comme d'autres, je savais qu'il avait le potentiel pour monter un jour sur le podium du Tour, mais peut-être pas si tôt, pas cette année. Ce qu'il a accompli est grandiose. Il a été critiqué en 2013 [Pinot se retire pour cause d'angine sur la 16e étape alors qu'il est 52e au classement général, NDLR]. Mais il s'est remis en question. Sa performance cette année montre qu'il est, tout simplement, un grand champion.
 
Aussi, tu as été plus assidu que les autres années devant ta télé ?
Je n'ai manqué qu'une seule étape. Dès le premier jour, je me suis régalé avec ce suspens. Je connais bien Thibaut certes, mais quelques autres aussi, comme Tony Gallopin, avec qui j'ai couru en Equipe de France Espoirs. J'en ai aussi profité pour aller sur une étape en ligne pour la première fois. C'était près de chez moi, à la Planche des Belles Filles. Je suis parti en bus, puis à pied, avec mon casse-croûte dans le sac, en pur spectateur ! Je me suis posté à deux kilomètres de l'arrivée. Tous les soirs, j'envoyais un mot à Thibaut. Une fois, je lui ai dit : « Avant, t'avais un mec comme Valverde en poster dans ta chambre. Maintenant, tu es en course face à lui et tu lui mets des attaques ! » Forcément, ça fait drôle...
 
Est-ce que tu te dis que tu aurais pu être dans le peloton professionnel, si une maladie ne t'avait pas contraint à arrêter ta carrière chez les amateurs, à 22 ans ?
Parfois, j'y pense. Je me dis que j'aurais aimé faire le travail d'un Arnold Jeannesson dans la montagne : rouler à 200% pour mon copain, pour mon leader. Le destin en a décidé autrement.
 
« NE PAS VIVRE AVEC DES REGRETS »
 
Ce problème hormonal qui t'a affecté à partir de 2011 (lire ici), tu en connais enfin la cause ?
Non, toujours pas. Il semble que j'étais en surmenage, tant à l'école qu'à l'entraînement. Je voulais absolument terminer ma Licence de Staps alors que j'avais quelques contacts pour passer pro dès ma première année Espoirs. Je me suis mis à fond dans le cyclisme et à la fac. Mais je ne regrette pas d'avoir donné la priorité à mes études. 
 
Vraiment ?
Il ne fait pas vivre avec ses regrets. Si j'étais passé professionnel, combien de temps aurais-je tenu ? Deux ou trois ans ? Rien ne dit que j'aurais fait carrière pendant dix ans. Chacun a une marge de progression différente. J'étais bon chez les Cadets et les Juniors, meilleur que Thibaut même. Chez les Espoirs, je finis 4e des Championnats d'Europe contre-la-montre et 15e des Championnats du Monde (Dans le top 15, je suis le seul coureur à n'être jamais devenu coureur professionnel.) Mais chez les Espoirs, j'ai coincé en troisième année. Thibaut, lui, a percé dès la première vers le plus haut niveau. Tout change très vite... Tiens, quelquefois, je repense aux Championnats d'Europe Juniors 2007, et je me dis que ma carrière aurait pu prendre une tournure. 
 
Lorsque tu étais échappé avec de futures stars, Peter Sagan, Diego Ulissi et Michal Kwiatkowski ?
Nous avions une minute d'avance à dix kilomètres de l'arrivée. Dans le pire des cas, j'aurais terminé quatrième. Or, j'ai chuté et j'ai été transporté à l'hôpital. Compte-tenu que je n'étais plus en tête, l'Equipe de France s'est mise à rouler et Fabien Taillefer termine 2e [derrière Kwiatkowski]. Admettons que j'aie terminé : peut-être que les choses se seraient précipitées pour moi. J'aurais peut-être été encouragé à lever le pied dans mes études et je me serais pleinement consacré au cyclisme. Et donc, peut-être que je serais passé professionnel, à la fin... Mais c'est trop facile de refaire l'histoire avec des « si » !
 
« ENTRAINEUR : MON PROJET DEPUIS QUE JE SUIS JUNIOR »
 
En arrêtant la compétition, tu as dû faire ton « deuil » du rêve de cycliste professionnel ?
Oui. Pendant quatre à cinq mois, j'ai eu de la peine à accepter que ma trajectoire allait bouger. Je me suis alors rattaché aux études. J'ai passé ma licence et, au passage, j'ai obtenu mes diplômes [il est devenu le plus jeune titulaire d'un Brevet d'Etat 2e degré, à 23 ans, NDLR]. Bref, je me suis de suite remis en mouvement et je n'ai pas perdu mon temps. Le cyclisme n'était qu'un rêve pour moi. La réalité, c'est que depuis l'époque Junior, je travaillais pour devenir entraîneur. Mon métier actuel est le résultat d'un vrai projet et non un choix par défaut !
 
Qu'est-ce qui te plaît dans le métier d'entraîneur ?
Transmettre une expérience et aider l'athlète à donner le meilleur de lui-même. Je crois beaucoup en la relation entraîneur-entraîné, c'est pourquoi je limite mon suivi à dix cyclistes. Je veux créer une vraie relation de travail et une vraie relation humaine. En tant que coureur, j'ai eu la chance d'être entraîné par Mathieu Nadal [Pôle Espoirs de Besançon, NDLR], Julien Pinot [ex-CC Etupes, aujourd'hui FDJ.fr] et Jacques Décrion [FDJ.fr]. Ils m'ont transmis le virus. Je m'inspire d'eux, ainsi que de Fred Grappe que j'ai connu à la Fac, ou Jérôme Gannat qui dirige le CC Etupes.
 
Avant de devenir coach au Btwin U19 Racing Team, tu as intégré l'encadrement du CC Etupes en 2011. Cette tentative n'a pourtant pas été très fructueuse...
C'était six mois après mon arrêt de la compétition. J'avais pris du recul, mais je n'étais pas encore assez impliqué dans l'équipe. Je côtoyais des copains qui étaient des coéquipiers jusqu'à il y a peu. J'avais du mal à les diriger. Heureusement, j'ai pu rebondir avec le Pôle France VTT de Besançon puis le B'Twin U19 Racing Team.
 
« AU TEAM BTWIN U19, UN TRAVAIL EN PROFONDEUR »
 
Comment t'es-tu retrouvé dans le projet du Team B'Twin U19 ?
Fin 2011, j'ai lu un article sur DirectVelo.com, une interview avec le coach du Team, David Giraud (lire ici). Je lui ai posé quelques questions puis j'ai rejoint l'équipe en 2012, comme bénévole. En fin de saison, on m'a proposé un CDI. J'étais très heureux, parce que cette structure me rappelle ce que j'ai connu de meilleur dans ma carrière : l'époque Juniors, les liens avec l'Equipe de France, l'accent mis sur les études (le « double projet »)... Je me retrouve dans les valeurs du Team. A cet âge-là, un entraîneur peut mettre en place un travail en profondeur avec les coureurs, pas seulement sur l'entraînement proprement dit mais aussi sur la tactique, la nutrition...
 
Tu parles souvent des études avec les coureurs ?
Oui, mais sans leur parler de moi. Je mentionne mon parcours en début d'année et c'est tout. Depuis sept ans, les coureurs du Team B'Twin ont 100% de réussite aux examens. C'est une grande fierté de concilier la tête et les jambes. Cette année, nous avons la chance de compter sur Jérémy Roy comme parrain [ingénieur en génie mécanique et automatique, diplômé en 2007, alors qu'il est professionnel depuis quatre ans, NDLR]. Jérémy est un exemple pour les jeunes.
 
Il existe aussi des contre-exemples : Thibaut Pinot figure sur le podium du Tour mais il n'a pas entrepris d'études supérieures.
Certes, mais il a au moins le Bac ! Quand j'étais Junior, j'ai connu des coureurs déscolarisés. Comme ils n'allaient plus à l'école, ils avaient plein de temps pour rouler. Et gagner de grandes courses chez les Juniors en ayant 20000km dans les jambes, c'est un peu facile ! Nous incitons donc nos coureurs à obtenir le Bac, au minimum.
 
« SUIVRE MES JEUNES AU NIVEAU PROFESSIONNEL »
 
Ton parcours montre qu'il y a un risque d'épuisement à marier cyclisme et études à haute dose. Un contre-exemple pour vos jeunes ?
Il est tout à fait possible de concilier les deux activités. Ma situation personnelle était un peu particulière, parce que j'ai mené de front le cyclisme, une fac de sport et la préparation de mon Brevet d'Etat. J'ai voulu tout faire à 200% et ce fut une erreur. Quand je rentrais de course, j'enchaînais le lundi matin par du kayak puis l'après-midi par de l'athlétisme. Pas évident pour la récup... La fac m'a proposé des dispenses mais j'ai accepté quand il était trop tard. Et lors des sorties VTT, je n'avais pas l'impression que l'on avançait bien vite, parce qu'on roulait moins fort que sur la route et on s'accordait des pauses. Du coup, je partais faire mes intensités entre midi et deux, dans le Fort de la Planoise [une côte de Besançon, NDLR]. Aujourd'hui, fort de cette expérience, j'apprends aux jeunes du B'Twin U19 Racing Team à lever le pied et à s'écouter. Il vaut mieux s'entraîner en qualitatif qu'en quantitatif. L'essentiel, c'est qu'on puisse poursuivre les études. Et qu'on dure !
 
Après les Juniors, pourrais-tu un jour travailler avec des coureurs pros ?
Oui, c'est un de mes objectifs. J'entraîne actuellement un professionnel parmi mes dix coureurs [Morgan Kneisky, du Team Raleigh]. Pour le moment, je me sens bien au Team et je vais y rester en 2015. La période Junior, c'est le début du haut niveau mais pas encore tout à fait le haut niveau. D'ores et déjà, je travaille avec des capteurs de puissance, même si certaines personnes estiment que c'est un peu tôt. Thibaut a progressé grâce à ce type de suivi méthodique et perfectionniste... Aujourd'hui, nous avons des Juniors de grand talent dans le Team. J'espère les aider à aller vers le cyclisme pro. Et pourquoi pas les suivre jusqu'au bout !
 
Pourquoi as-tu repris le vélo cette année, après quatre années d'arrêt ?
J'avais envie de rouler avec nos coureurs pendant le stage montagne. Je voulais aussi pouvoir suivre mes amis à l'entraînement tout en me faisant plaisir. Après le Tour de Romandie, j'ai accompagné Thibaut, Boris Zimine et Lucas Guyot (CC Etupes). Eux, ils avaient la force de discuter. Moi, j'étais lâché dans les bosses. Alors, je m'y suis remis, le 18 mai.
 
« TRANSMETTRE L'EXPERIENCE SUR LE VELO »
 
Tu ne t'es pas contenté de renouer avec l'entraînement : tu as de nouveau accroché un dossard !
Oui, pour la première fois depuis la Ronde Nancéienne en mai 2010, j'ai couru à Baumes-les-Dames, en Pass' Cyclisme, le 2 juin. J'ai enchaîné sur d'autres épreuves jusqu'à devenir Champion de Franche-Comté du contre-la-montre. J'étais content de retrouver l'adrénaline de la compétition. Mais j'ai surtout recommencé à courir pour transmettre de l'expérience à mes jeunes. Sur le vélo, c'est parfois plus facile de les guider, de les aider à comprendre et sentir la course.
 
As-tu réveillé quelques objectifs personnels ?
Non, et je compte arrêter là l'expérience, peut-être le week-end prochain à Authoison. J'ai profité des deux derniers mois, mais je dois maintenant me remettre à fond dans mon travail d'entraîneur.
 
Tu vas aussi recommencer les parties de pêche, non ?
Depuis deux mois, j'ai un peu levé le pied de ce côté-là (rires). La pêche m'a aidé à garder le moral quand j'ai arrêté le cyclisme. Je pars dans un étang pour prendre des carpes, souvent seul, le téléphone coupé. Le paradoxe, c'est que j'aime la foule, en particulier sur les courses cyclistes, mais j'ai aussi besoin de cette tranquillité. Je suis dehors par tous les temps, qu'il pleuve ou qu'il fasse un grand soleil. Face à l'eau je ne me contente pas de poser ma canne à pêche : j'étudie la meilleure façon d'attraper le poisson. C'est une forme d'entraînement et je sens que je progresse. Et puis je me prends au jeu : je veux pêcher de plus en plus de poissons et de plus en plus gros. C'est une quête de la performance. Au fond, je suis resté coureur cycliste !

Crédit photo : www.velofotopro.com

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