La Grande Interview : Julien Morice

Cinq années dans l'ombre, trois jours dans la lumière. Julien Morice, l'équipier modèle du Vendée U, s'est retrouvé sous les feux de la rampe dans la semaine des Championnats de France. Le jeudi, il prend la médaille d'argent dans le contre-la-montre amateurs, derrière Romain Bacon (Team Vulco-VC Vaulx-en-Velin). Le samedi, il paraphe son contrat de néo-professionnel pour 2015, avec le Team Europcar. Il admet : "Cette reconnaissance me fait le plus grand bien." Depuis 2010 qu'il court dans la réserve de l'équipe WorldTour, le Breton n'a pas décroché le moindre succès personnel sur route. Mais il en a fait son parti. Il "prend du plaisir" à tirer le collectif, tantôt dans les chronos par équipes, tantôt dans les arrivées au sprint - successivement au service de Jérôme Cousin, Bryan Coquard et Thomas Boudat. Le rôle d'équipier ? "Je l'ai toujours aimé ! Ou alors j'ai été obligé de l'aimer, je ne sais pas", soupèse Julien Morice, dans sa « Grande Interview » accordée à DirectVelo.com. Sur piste, il a bâti l'essentiel de son palmarès : quatre titres de Champion de France entre 2009 et 2013 et un titre de Champion d'Europe Junior, dans la poursuite par équipe, en 2008. La piste a aussi modelé son âme de routier : "Je roule en pensant au mec qui est dans ma roue." Ses dirigeants ont aussi pensé à lui, en lui offrant un billet chez les professionnels. En qualité d'équipier, bien sûr.

DirectVelo.com : Tu seras sans doute le néo-professionnel le plus méconnu du peloton en 2015. Même les membres de ton équipe que l'on a interrogés à ton propos n'ont pas été très bavards.
Julien Morice : J'ai toujours été discret et même assez timide. C'est mon éducation qui veut ça. Dans l'équipe, je ne suis pas du genre à me mettre en avant. Par ailleurs, ma vie privée reste mon jardin secret et je ne vais pas vers les journalistes. En fait, je ne fais pas de bruit. Et comme je ne gagne pas souvent de course...

Comprends-tu que certains soient surpris de voir ton nom dans la liste des néo-professionnels pour le Team Europcar ?
Il ne faut pas exclusivement se fier à mon palmarès. Depuis cinq ans que j'évolue au Vendée U, je cours toujours aux avant-postes. Derrière les victoires de Bryan Coquard, Thomas Boudat et Morgan Lamoisson, il y a des mecs qui se sacrifient. Le Team Europcar a besoin de coureurs comme moi, qui savent rouler vite sur le plat, que ce soit dans un contre-la-montre ou pour emmener un peloton.

« J'AI ETE PATIENT »

Avec ce contrat, c'est aussi ta fidélité qui est récompensée ?
Oui, la fidélité et la ténacité finissent par payer. L'an passé, le Team Europcar a engagé Bryan Nauleau qui a passé six ans et demi au Vendée U. Moi, ça fait cinq ans. Je n'ai jamais reçu de propositions d'autres clubs et je suis resté fidèle à mes premières amours.

As-tu douté de tes chances de réussite ?
Bon, cinq ans, c'est un peu long (rires) ! Chaque année, il est compliqué de voir de jeunes talents rejoindre le Vendée U et passer pro ensuite. Les trois premières années, je ne pensais pas devenir professionnel. Je voulais seulement faire du sport à haut niveau. Le reste n'était qu'un rêve... Puis j'ai commencé à croire en mes chances. Mais il m'a fallu être patient. Début 2014, je n'étais pas encore assuré d'un contrat pour 2015. La confirmation officielle est tombée la semaine du Championnat de France. C'est un soulagement. Si je n'avais pas eu ce débouché, il est certain que j'aurais arrêté le cyclisme amateur à haut niveau fin 2014.

Parce que ça aurait été moralement trop dur ?
Le vélo dans une DN1, ça prend du temps. Par exemple, j'ai passé mon BTS (en management des unités commerciales, NDLR) en quatre ans. D'ailleurs, j'ai eu le dernier oral pendant les Championnats de France, au lendemain du contre-la-montre et à la veille de la course en ligne.

« PEUT-ETRE UN PEU POISSARD »

Qu'est-ce qui explique que tu ne gagnes pas souvent ?
Je sprinte comme un fer à repasser. Et je suis une chèvre en tactique de course ! Chez les Cadets, je gagnais parce que j'avais un grand gabarit. Chez les Juniors, c'était déjà plus rare : deux victoires en deuxième catégorie, aucune en première. Alors je me suis mis à rouler pour les autres. Dans mes premières années Espoirs, c'était tout à fait normal de jouer les équipiers. J'ai aussi laissé filer quelques opportunités.

A cause de la malchance ?
Parfois je me demande si je ne suis pas poissard... Le week-end avant le Championnat de France, j'étais dans la bonne échappée sur les Boucles Talmondaises. Nous étions trois coureurs du Vendée U (Thomas Boudat, Guillaume Thévenot et moi) face à Yoan Verardo, Jean Mespoulède et Arnaud Labbe (voir classement). J'ai crevé trois fois au total ! Certes, on empruntait des chemins de terre qui font la spécificité de cette épreuve, mais je suis le seul dans l'échappée à avoir accumulé tous ces incidents. Il y a aussi le Championnat de France du contre-la-montre en 2013. A cause de la pluie sur la visière du casque, je n'ai pas vu un trou sur la route et j'ai chuté au bout de dix-huit kilomètres. Si on se fie à mon temps intermédiaire, j'étais parti pour un Top 10 ou un Top 12, ce qui n'aurait pas été un mauvais résultat au milieu des professionnels.

Sur le Championnat de France cette année, tu te rattrapes avec une dix-septième place au classement scratch et une médaille d'argent au classement amateur (voir classement). Fin de la scoumoune ?
Pas sûr ! Je perds de trois secondes sur près de cinquante kilomètres. J'ai refait la course plusieurs fois dans ma tête. Peut-être que j'ai été handicapé dans ma préparation (par des soucis gastriques et une douleur au genou, NDLR). Mais bon, c'est le sport. J'aurais tout aussi bien pu gagner ce chrono pour trois secondes.

« PAS LE DROIT DE DECEVOIR UN COEQUIPIER »

Tu as au moins prouvé que tu étais capable de remplir des objectifs personnels ?
J'avais une sacrée pression depuis cet hiver. Donc, oui, je suis content de cette performance. J'ai rarement la chance de jouer ma carte. Cette année, je suis passé à côté du contre-la-montre de la Boucle de l'Artois (avec une dixième place) parce que j'étais sorti cramé du Tour de Normandie. Sur le chrono par équipes des Boucles de la Marne, par contre, j'ai contribué à la victoire du collectif.

Ton directeur sportif, Thibaut Macé, dit que tu es plus fort quand il s'agit de rouler pour les autres que quand tu dois rouler pour toi-même. Partages-tu son avis ?
Oui, tout à fait. L'an passé, sur le Championnat d'Europe sur piste, j'étais mal placé mais j'ai fait un gros retour avec Bryan Coquard dans ma roue. Si j'avais couru pour mon propre compte, je n'aurais pas été capable de produire le même effort. Je me demande à quoi est dû ce blocage. Si j'avais la réponse, je gagnerais plus souvent ! C'est peut-être un petit truc qui me vient de la piste : je roule en pensant au mec qui est dans ma roue. Je n'ai pas le droit de le décevoir. Si je me rate, je désavantage tout le monde. Cette pression est très positive pour moi.

Ce statut d'équipier, tu as fini par l'aimer ?
Je l'ai toujours aimé ! Ou alors j'ai été obligé de l'aimer, je ne sais pas. Quoi qu'il en soit, je prends du plaisir à emmener un sprint, je me mets dans des états pas possibles. L'an passé, j'étais le dernier à m'écarter pour Coquard. Cette année, Romain Cardis a davantage un profil de lanceur que moi, donc j'interviens plus tôt dans un final et ce rôle me convient tout autant. Peut-être que j'ai été formaté « équipier » par le Vendée U. Mais j'ai la chance d'être dans une équipe qui valorise ce statut. Mon contrat de néo-professionnel en est la preuve.

Equipier, c'est ingrat malgré tout. Il subsiste toujours le doute que tu n'as pas le niveau suffisant pour gagner...
J'ai quand même quelques références. Mon stage chez les pros en 2013 s'est bien passé. Je cours presque tous les week-ends des épreuves de catégorie 1.2 et 2.2 (calendrier UCI, NDLR). Et je suis dans le coup pour la gagne sur le Championnat de France amateur du contre-la-montre.

« NOUS VIVONS ENSEMBLE »

Qu'est-ce qui te plaît au Vendée U ?
Tout d'abord, le club m'a permis de concilier la route et la piste. Pendant trois saisons, j'ai pu disputer des manches de Coupe du Monde. Puis, j'ai appris à découvrir l'ambiance de l'équipe. Nous formons une belle bande de copains.

Toutes les équipes disent ça !
Oui, mais chez nous c'est une réalité. On ne pourrait pas marcher dans les contre-la-montres par équipes si on n'était pas soudé. Chaque week-end, on se voit, que ce soit dans les stages, les entraînements ou les compétitions. Nous vivons davantage ensemble que la plupart des coureurs de DN1. Pendant un temps, j'ai même été colocataire sur Bordeaux avec mes coéquipiers Jérôme Cousin, Bryan Coquard et Morgan Lamoisson. Tout ça permet de créer des liens.

A quel moment as-tu senti que tu faisais parti du moule Vendée U, qui privilégie le collectif à l'individu ?
Sur la Vienne Classic Espoirs en 2010. Ce jour-là, on fait un sextuplé (NDLR : Corentin Maugé remporte l'épreuve - voir classement). Je sortais des Juniors, je n'avais jamais vu un truc pareil ! A l'avant, je côtoyais des mecs comme Tony Hurel, Jérôme Cousin et Kévin Reza. Je me rappelle encore d'avoir eu mal aux jambes ! Mais c'était une sensation très agréable. Je voyais le travail d'équipier à l’œuvre. Je me disais que le Vendée U formait un groupe très très fort.

Il existe un secret pour réussir ce genre de coup tactique ?
(Il rit.) Les bordures, c'est presque une religion au Vendée U ! On ne les travaille pas beaucoup à l'entraînement mais le Circuit des Plages Vendéennes, en début de saison, nous aide à nous mettre dans le bain. Je me rappelle l'épreuve de la Barre-de-Monts en 2013 (quand Guillaume Thévenot et Pierre-Henri Lecuisinier signent le doublé, NDLR). On avait fait exploser la course au bout de trois kilomètres. Certes, le coup était prémédité, on avait étudié la carte avant. Mais parfois, ce n'est pas le cas : on décide sur le vélo. Comme notre collectif est fort et uni, on peut se le permettre !

« ON APPREND DE NOS ERREURS »

En tant que capitaine de route, il te revient de décider de la stratégie ?
Je suis le prolongement du bras du directeur sportif. Donc je veille à appliquer ses consignes. Mais parfois, je dois aussi prendre des initiatives. Mieux vaut ne pas se tromper ! En cas d'erreur, tu es dans certains cas obligé d'assumer et d'aller jusqu'au bout. On en parle alors au débriefing. Nous sommes un club formateur. Au Vendée U, on apprend autant de nos victoires que de nos erreurs.

Tu as remporté la Coupe de France DN1 à trois reprises (2010, 2012, 2013). Vas-tu quitter les rangs amateurs cette année avec un quatrième titre ?
Je l'espère. En 2010, je n'avais couru aucune manche mais j'avais quand même rapporté des points bonus grâce à mes participations en Equipe de France. Les années suivantes, j'ai été présent sur de nombreuses manches. Une Coupe de France qui récompense toute une équipe, voilà qui correspond bien à la philosophie du Vendée U. Et à la mienne ! Cette année, la dernière épreuve, le Grand Prix du Viaduc (au Ponthou), est un peu difficile pour moi, donc je ne suis pas encore certain d'être au départ. Mais je vais tout faire pour décrocher des points sur l'avant-dernière manche, le Trophée des Champions. Nous avons perdu la tête du classement sur le Tour d'Eure-et-Loir : nous avons 698 points et l'Armée de Terre, 772 points. Mais nous pouvons encore gagner. C'est mon dernier objectif en tant que coureur amateur.

Crédit Photo : Freddy Guérin - www.directvelo.com
 

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