La Grande Interview : Vivien Brisse

Sur piste, Vivien Brisse est Champion du Monde (de l'américaine, en 2013, associé à Morgan Kneisky). Sur route, il a "toujours eu un peu de mal à trouver [sa] place et à prendre du plaisir." Il n'empêche qu'il a décroché dimanche l'un de ses rares succès dans la discipline, le titre de Champion d'Aquitaine, à travers les bosses de Sauveterre-de-Béarn (Pyrénées Atlantique). Mercredi, il étrennait son maillot sur la nocturne du Bouscat, près de Bordeaux, chez lui. Jusqu'à présent, il portait celui du CC Périgueux Dordogne, le club de DN3 où il ne rechigne pas à travailler pour les autres. "J’œuvre pour le collectif et j'aime ça", dit-il dans le dense entretien qu'il accorde à DirectVelo.com. A vingt-six ans, Vivien Brisse affirme qu'il ne regrette pas d'être resté amateur, contrairement à certains de ses partenaires des vélodromes ou son actuel colocataire Romain Guillemois (Team Europcar). Le "plaisir", dont il parle tant, passe par le cyclisme sur piste. Il y a déjà vécu le rêve d'un titre mondial et il songe à le "répliquer". Tout le reste, à commencer par sa victoire au championnat régional, n'est que "bonus".

DirectVelo.com : Ce maillot de Champion d'Aquitaine, c'est un cadeau ou tu es allé le chercher à la pédale ?
Vivien Brisse : Les deux. J'étais dans la bonne échappée depuis le dixième kilomètre et encore présent dans le final. Avec mes trois coéquipiers (Arnaud Labbe, Damien Le Fustec, Jean Mespoulède, NDLR), je n'ai pas ménagé mes efforts - nous repoussons le cinquième de l'épreuve à cinq minutes. Quant au parcours, il était difficile, avec notamment une ascension de presque huit kilomètres dans le final. En tête, nous étions quatre du même club et mes coéquipiers se sont mis d'accord pour que je gagne. Jean était clairement le plus fort, il aurait tous pu nous lâcher sur une accélération. Au lieu de ça, il a choisi de m'offrir mon premier titre de Champion régional sur route.

Pourquoi cette marque de reconnaissance ?
Je joue souvent les éclaireurs pour protéger mes leaders sur les courses. J’œuvre pour le collectif et j'aime ça. Que ce soit pour mes coéquipiers les plus expérimentés ou pour des petits jeunes prometteurs, je joue le jeu. Quand ils gagnent, c'est une joie pour moi. Et j'ai bien vu que mes trois coéquipiers étaient tout aussi heureux que je remporte le Championnat d'Aquitaine.

« JAMAIS BAISSE LES BRAS SUR LA ROUTE »

Ce rôle de coéquipier, tu le remplis depuis longtemps ?
Depuis toujours. Il en va de même sur la piste. Dans une poursuite, tu pédales en pensant au mec qui est dans ta roue.

Et sur route ?
J'ai toujours eu un peu de mal à trouver ma place et à prendre du plaisir. J'ai commencé le cyclisme en Pupille, à l'EC Saint-Etienne. D'emblée, c'est la piste qui m'a plu. J'aimais les efforts qu'elle réclame, violents et ludiques à la fois. Le format des épreuves était sans temps-mort, comme dans le cyclo-cross que j'avais découvert quelques semaines plus tôt. En route, par contre, j'ai compris que je ne serais jamais un des meilleurs. Du coup, je roulais pour les autres chez les Juniors. Même chose quand je suis passé Espoir, au CR4C Roanne. J'étais impressionné par cette armada ! Il y avait Jérôme Coppel, Loïc Herbreteau, Benoît Luminet et Arthur Vichot. J'ai assez peu couru à leurs côtés parce que j'étais déjà membre du Pôle France de Talence, spécialisé dans la piste. Mais je me rappelle de Coppel et Herbreteau me donnant des conseils sur le Circuit des cantons de la Vallée du Bedat. Il y avait une sacrée marche à franchir pour être à leur niveau. J'ai mis deux ans à m'adapter.

Beaucoup de coureurs Espoirs se plient à un travail d'équipier, le temps de progresser. Ils roulent ensuite pour leur propre compte, quand ils en ont les moyens. Pourquoi pas toi ?
Je n'ai jamais baissé les bras. Disons que je n'avais pas les mêmes facilités sur route que sur la piste. Logiquement, je me suis concentré sur la seconde discipline.

« TOTALEMENT CHANGE DEPUIS MON ANEMIE DE 2009 »

Tu dis aussi que tu ne prenais pas beaucoup de plaisir sur route...
J'avais parfois l'impression de me « faire chier ». Une épreuve de quatre heures, c'est long... Cela dit, depuis deux ans, je me sens davantage à l'aise.

Tu es en train de prendre goût à la discipline ?
Peut-être. Je trouve les courses plus courtes. J'ai pris davantage de repères et je prends du plaisir à rouler, pour moi ou pour les autres.

Sur les vélodromes, il t'a fallu être patient également : tu disputes ta première manche de Coupe du Monde et tes premiers Championnats du Monde à vingt-et-un ans passés. Pourquoi si tard ?
Dans ma deuxième année Espoir, j'ai connu une anémie qui m'a fait perdre six mois. J'ai repris le vélo au mois de janvier 2009 avec une énorme envie et des meilleures jambes. Je fais de bons Championnats de France sur piste en Guadeloupe, au mois d'août. J'ai donc été retenu en Coupe du Monde dans l'hiver 2009-2010 et aux Championnats du Monde 2010 à Copenhague.

En somme, cette grosse carence en fer t'a relancé ?
Oui, elle m'a totalement changé. Je me sentais « juteux » mais j'étais surtout déterminé dans ma tête. Pendant six mois, j'ai profité de ma jeunesse, j'ai fait tous ce que font les étudiants et que normalement les cyclistes ne sont pas autorisés à faire... J'ai hésité à stopper le vélo mais Eric Vermeulen, le responsable et entraîneur du Pôle, m'avait gardé une place et il m'a incité à poursuivre : « T'es jeune, ne t'arrête pas comme ça ! » Je faisais la fête et ça m'a permis de voir quelque chose de nouveau. Mais on a vite fait le tour de cette vie-là. Quand je suis remonté en selle, je me suis dit : « C'est quand même beau le cyclisme ! »

« JE VIVOTE MAIS JE SUIS HEUREUX »

Qu'est-ce qui est beau exactement ?
D'avoir une passion et de pouvoir en vivre. Grâce à mon titre de Champion du Monde de l'américaine en 2013, j'ai décroché quelques contrats de sponsoring en particulier avec des partenaires basés à Saint-Etienne. Je vivote mais je suis heureux. Le jour où je ne m'en sors plus, j'arrête.

La suite ?
J'ai un DUT de génie civil et j'espère devenir un jour conducteur de travaux.

Depuis que tu as décroché ton maillot arc-en-ciel, poursuis-tu un nouvel objectif ?
Tout ce qui peut m'arriver depuis ce titre, c'est du bonus. Je rêvais de devenir Champion du Monde de l'américaine depuis les rangs Juniors. Je l'ai fait. Les Jeux Olympiques ? Les épreuves que je préfère, celles qui se déroulent en peloton (scratch, américaine, course aux points), ont été retirées du programme. J'ai cru un temps me qualifier pour Londres en 2012. C'était l'objectif d'Hervé Dagorne, qui entraînait un groupe pour la poursuite, avec Julien Morice, Julien Duval, Benoît Daeninck, Jonathan Mouchel et moi. Malheureusement, nous n'avons pas obtenu notre ticket.

Vous pourriez remettre vos plans pour Rio 2016 ?
Je suis évidemment disponible mais je suppose que la DTN misera sur des jeunes, des Corentin Ermenault ou Valentin Madouas qui possèdent un gros moteur. Je sais rouler en 4'06'' ou 4'07'' mais je n'ai pas la capacité à atteindre le temps aujourd'hui requis de 4'02''.

« LA VIE D'UN PRO SUR ROUTE NE ME FAIT PAS REVER »

Certains de tes partenaires dans l'américaine sont passés professionnels sur route, à l'image de Morgan Kneisky, et d'autres sont sur le point d'y parvenir comme Thomas Boudat. Tu les envies ?
D'abord, la question ne s'est jamais posée. Après mon anémie, j'ai eu un programme très orienté vers la piste. Et je n'avais certainement pas les capacités de Thomas pour pouvoir réussir dans les deux disciplines. De toute façon, la vie d'un professionnel sur route ne me fait pas rêver. Si tu es un néo-pro, tu ne prends pas de plaisir. Si tu n'es pas un grand pro, tu cours toute ta carrière en sachant que tu vas prendre des branlées tous les week-ends...

Mieux vaut ne pas être professionnel du tout qu'un « petit » professionnel ?
Voilà. Comme amateur, sur route, il m'arrive de me faire taper dessus mais parfois je peux décrocher un résultat. Je suis un coureur amateur « correct ». Je vais au départ des épreuves sans pression. Sauf aux Championnats de France : tu sens la tension sur la ligne, avec l'appel des concurrents. Cette année, je suis sélectionné pour la deuxième fois de suite et j'espère faire mieux qu'en 2013, quand j'avais cassé ma roue arrière avant de franchir le premier ribin (chemin de terre dans le Finistère, NDLR).

D'où tires-tu ton bonheur sur la piste ?
Je ne m'ennuie jamais. Quand j'étais jeune, comme tous les débutants sur un vélodrome, j'avais la hantise de ne pas savoir utiliser le pignon fixe. Tu dois pédaler, sans arrêt, et à cent-vingt tours par minutes ! Parfois je me dis « Tu es fou de faire ça ! »

Qu'est-ce qui te choque ou te fascine ?
La brutalité de l'effort. Quand je finis, mon entraîneur sait qu'il ne doit pas me parler pendant une heure. Tu sollicites le « lactique » et c'est horrible. Si tu ne vomis pas, tu as déjà de la chance. Après une poursuite, tu es tellement détruit... Je ne me rappelle pas d'épreuve sur route où, comme ça se produit sur la piste, on est incapable de marcher une fois la ligne franchie..

Crédit Photo : Guy Dagot - www.sudgironde-cyclisme.net
 

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