La Grande Interview : Blaise Sonnery

S'il existait un maillot du coureur le plus optimiste, il serait sur les épaules de Blaise Sonnery. Son manque de fond physique, il l'admet : "J'ai toujours été un petit coureur qui a fait son maximum." Professionnel trois ans chez AG2R La Mondiale (2007 à 2009) puis en 2012 avec les Japonais de Bridgestone, il s'est fait connaître par ses entraînements forcenés et sa fougue inébranlable en course, même quand il s'agissait de s'offrir un modeste accessit. La caractéristique de ce grimpeur : il y croit toujours. Et si c'est perdu aujourd'hui, il se prépare à gagner la fois suivante... Cette foi du charbonnier l'a aidé à s'imposer en 2005 et 2006 dans deux sommets du calendrier Espoirs, le Tour des Pays de Savoie (classement général) et la Ronde de l'Isard (dernière étape, au terme d'une longue échappée). Longtemps, Blaise Sonnery a carburé à l'obsession du détail et à la perte de poids. Aujourd'hui, à vingt-neuf ans, il préfère parler de "plaisir" et travaille son corps dans les salles de musculation. Mais son enthousiasme n'a pas baissé d'un micron. Voix entraînante, ton enjoué, il se confie pour DirectVelo.com.

DirectVelo.com : Si on te dit « A l'aise Blaise », c'est un calembour usé ou ça colle à ton état d'esprit en ce moment ?
Blaise Sonnery : (Il rit.) J'ai déjà eu droit à quelques articles de presse avec ce jeu de mots dans le titre. ! Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, j'aborde le cyclisme d'une nouvelle façon : avec moins de pression et plus de recherche du plaisir. Certes, je suis un coursier et je veux toujours gagner ou faire gagner mon équipe. Sur le Rhône-Alpes Isère Tour cette semaine, je serai très motivé, surtout par la dernière étape qui emprunte mes routes d'entraînement. Depuis ma fenêtre, je vois le Bois d'Oingt, c'est là également que j'ai fait mes photos de mariage. Et dimanche, la course passe par-là ! J'ai toujours envie de me battre, je ressens toujours le plaisir de la montée d'adrénaline après un effort... Mais je suis plus décontracté qu'avant, et c'est souvent quand on court avec cette mentalité qu'on réussit le mieux.

Depuis quand es-tu détendu ?
Quand je suis revenu chez les pros, chez Bridgestone, en 2012, je me suis cassé deux fois la clavicule. C'est ensuite que j'ai repris du plaisir, en 2013, avec le VC Caladois. J'avais déjà couru pour le club après mes années AG2R La Mondiale. J'avais l'impression de m'amuser avec les copains, de me tirer la bourre. Le vélo était un jeu. Il en est toujours de même avec mes nouveaux camarades de Bourg-en-Bresse Ain Cyclisme.

« J'AURAIS DÛ ME LÂCHER UN PEU PLUS »

Est-ce à dire que tu ne savourais pas complètement le vélo quand tu étais chez AG2R La Mondiale ?
Quand je regarde le Giro à la télé, je me rappelle de bons souvenirs (il a participé en 2008 et 2009, NDLR). Beaucoup de coureurs auraient voulu être à ma place. J'ai conscience d'avoir eu une opportunité exceptionnelle, mais je ne l'ai pas saisie.

Parce qu'il y avait trop de pression ?
Sur un plan financier, forcément, parce que l'équipe AG2R La Mondiale doit faire honneur à ses sponsors. Mais je m'étais surtout mis une pression personnelle. J'aurais dû me lâcher davantage, tenter des petits trucs en course, mêmes ridicules. Souvent, je me concentrais sur mon travail d'équipier et j'attendais le final pour bouger. Or, plus tu attends, plus tu te retrouves directement face aux champions. Et moi, j'avais mes limites physiques.

Tu es d'accord avec ceux qui te dépeignent comme un coureur très volontaire mais sans « gros moteur » ?
Oui. J'ai toujours été un petit coureur qui a fait son maximum. Sur l'entraînement, le matériel et la nutrition, je faisais le job à 400%. Déjà en amateur, j'avalais beaucoup de kilomètres, je faisais beaucoup de travail au seuil. J'étais tellement affûté que j'ai pu obtenir quelques résultats sur des courses que j'avais spécialement préparées, comme la Ronde de l'Isard ou le Tour des Pays de Savoie.

« MA GENERATION MANQUAIT D'UNE LOCOMOTIVE »

Jusqu'en 2007, quand tu étais encore Espoir, il y avait très peu de grimpeurs en France et tu étais l'un des meilleurs...
Il y avait aussi Rémy Di Grégorio. Nous étions adversaires chez les Juniors. Une fois, je l'ai fait sauter sur une épreuve organisée par le VS Romanais Peageois. J'espère que ça le fera rire d'y repenser ! Par la suite, j'ai pris mon pied dans les cols, je savais que je pouvais faire un résultat quand le peloton se présentait groupé.

Mais sur les épreuves internationales, les jeunes Français n'étaient plus aussi dominateurs que maintenant ?
On se faisait souvent battre par les Italiens, les Slovaques parmi lesquels Peter Velits... Il y avait aussi Andy Schleck. Sur la Classique des Alpes Juniors, les étrangers marchaient très fort, même si c'est Julien Loubet qui gagne (en 2003). Quand je vois le classement actuel de la Coupe des Nations (voir le tableau des Juniors et des Espoirs), les Français marchent comme des avions !

Ton époque précède l'arrivée des Thibaut Pinot, Romain Bardet et Warren Barguil...
Ces trois coureurs, je les aime beaucoup. Ils se battent, ils ont une classe énorme et, surtout, je pense qu'ils prennent beaucoup de plaisir dans ce qu'ils font. Ce qui manquait à ma génération, c'était une dynamique. Il nous aurait fallu un gros moteur capable de nous tirer en avant et de nous donner confiance. Thibaut Pinot a certainement rempli ce rôle de locomotive pour la jeune génération.

« J'AI TOUJOURS VECU LA COURSE A FOND ! »

Quand tu étais chez les pros, il paraît que tu t'employais sur ton vélo, même lorsque tu étais attardé et que tu n'avais plus aucune chance de résultat. Qu'est-ce qui t'animait ?
Les coureurs qui t'ont dit ça, c'est un compliment qu'ils me faisaient ?

Ils étaient étonnés.
Temps mieux s'ils aimaient bien mon caractère. Chez les pros, ce n'est pas très bien vu de s'accrocher pour une place d'honneur. Pour ma part, je considérais que si je ne postulais plus pour la victoire, il fallait que je conserve des automatismes pour la prochaine fois. J'ai toujours vécu la course à fond, même pour une place de trentième. Si tu perds ce genre de réflexes, le jour où tu es dans la bonne échappée, tu ne sais plus gagner.

C'est surtout dans les vallées que tu te battais ?
Oui. J'étais un grimpeur usé avant même d'entamer les cols. Les pros roulent 5 km/h plus vite que les amateurs sur le plat. Si j'avais eu un peu plus de poids, peut-être que j'aurais fait un bon pro.

Tu penses que tu étais trop léger ?
C'était l'obsession de l'époque. Je pesais cinquante-cinq kilos, alors qu'aujourd'hui j'en fais dix de plus.

« J'AI PASSE UNE EPREUVE D'HALTEROPHILIE ! »

Qu'est-ce qui a changé ?
J'ai découvert la musculation en 2013. Donc, tout a changé ! Coureur professionnel, je roulais trente mille kilomètres par an contre moins de la moitié aujourd'hui. A la place, je fais beaucoup de travail en salle. C'est à cause de ma formation : j'ai passé un Bessac et un Brevet professionnel pour les salles de musculation et je prépare actuellement un autre Brevet professionnel pour pouvoir travailler dans les salles de fitness.

L'idéal, c'est de pouvoir un jour ouvrir ta propre salle ?
Pour le moment, je suis en stage chez Aquaval, à Tarare. Mais un jour, je pourrais monter mon propre projet. Dans tous les cas, je voudrais conseiller des sportifs, venus du cyclisme ou d'autres disciplines, évoluant à haut niveau ou débutants. Aux jeunes, j'ai envie de transmettre mon expérience du sport professionnel, en tenant compte de mes points forts et de mes erreurs. Quant aux débutants, ils disposent par définition d'une grande marge de progression. Récemment j'ai travaillé avec des personnes issues de l'aviron et du judo. Mon défi consiste à trouver les exercices en salle les plus efficaces pour leur discipline.

Les cyclistes recourent-t-ils fréquemment à la musculation ?
Malheureusement, pas assez. Quand je vois un Peter Sagan ou un Fabian Cancellara, je me dis qu'ils ne font pas que des sorties de six heures sur le vélo, mais qu'ils accomplissent un travail de dingue en musculation ! Certains grimpeurs sont bien gainés également.

Toi-même, as-tu appliqué certaines de ces méthodes ?
C'est obligatoire. Dans le cadre de mon diplôme, j'ai même passé une épreuve d'haltérophilie en 2013 ! (rires) J'ai été bien préparé par Cédric Wandrol, qui travaille à Lyon. Avec lui, j'ai gagné en puissance, en force et en explosivité sur le vélo. Avant, quand j'attaquais, j'étais tellement diesel que tout le monde pouvait prendre ma roue. Aujourd'hui, grâce à la musculation, je peux gicler à deux kilomètres de l'arrivée. Certains vont se marrer en lisant cette interview, mais je suis presque devenu sprinter !

Crédit Photo : Marine Grolier - www.marinegrolier.fr
 

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