La Grande Interview : Pierre Lebreton

Et si Pierre Lebreton devenait le premier médecin à courir chez les professionnels (1) ? Le coureur du Team Peltrax CS Dammarie-lès-Lys s'est donné ce "petit challenge". Et cet autre rêve, qu'il confie à www.directvelo.com : "attaquer au départ d'une épreuve avec les pros, tenir en solitaire et lever les bras." Rien ne semble interdit dans l'essor de ce rouleur hors cadre, qui a donné priorité à ses études pendant ses années Espoirs et qui découvre le haut niveau aujourd'hui, à 24 ans. Sur Paris-Troyes, le week-end passé, il était de la première bordure lancée par les Cofidis, et il n'a cédé qu'à trente kilomètres de la fin. En 2013, il s'était révélé dans les montagnes du Tour de Guadeloupe ou dans un raid d'anthologie au Tour de la Dordogne. Il aime le vélo comme on le respire, sans vitamines ni cardiofréquencemètre. Son cœur ne bat que pour l'effort pur, échappées solitaires ou contre-la-montres. Et pour celui des autres, qu'il pourrait bien ouvrir du bistouri comme spécialiste en chirurgie vasculaire, pour le cas où il n'aurait pas rejoint le peloton pro aux alentours de la trentaine.

DirectVelo : Quelle est la vocation qui est venue en premier ? Le cyclisme ou la médecine ?
Pierre Lebreton : Le cyclisme est un jeu et une bonne manière de me libérer la tête. J'ai commencé quand j'avais quatorze ans. Quant à la médecine, c'est un sujet d'admiration depuis toujours. Un médecin doit aider les gens, tous les gens, même ceux qu'il n'a pas forcément envie d'aider pour telle ou telle raison. Dans le cyclisme, on a tendance à penser beaucoup à soi. En médecine, c'est l'inverse.

Le cyclisme prend aussi beaucoup de temps...
C'est vrai. La première année de mes études, celle qui est sanctionnée par un examen important, je ne courais encore qu'en troisième catégorie. C'est seulement quatre ans plus tard, fin 2012, que j'ai rejoint un club structuré pour la compétition en première catégorie. Aujourd'hui, de partage ma saison en plusieurs phases. Vélo, puis études, puis vélo pour les vacances cet été, et de nouveau études à la rentrée de septembre.

« ESSAYER LE CHAMPIONNAT DE FRANCE CONTRE-LA-MONTRE »

Donc, tu vas bientôt observer une pause ?
Oui, je coupe pour me consacrer à mes révisions, à partir de maintenant et jusqu'au 28 mai. Enfin, je n'arrête pas complètement puisque je vais quand même disputer les Boucles Guégonnaises et une autre épreuve en Bretagne, plus les Championnats de France universitaires. Je continuerai aussi à m'entraîner régulièrement. Mais je vais partir chez mes grands-parents à Brest, pour m'isoler dans mon travail. C'est dommage de lever le pied sur la compétition maintenant, parce que je me sentais en forme sur Paris-Evreux et Paris-Troyes. Mais je ne me plains pas. Il faut être patient. Je sais qu'à chaque période de vélo pleine, je progresse très vite.

Difficile dans ces conditions d'élaborer des objectifs sportifs sur la saison ?
Je n'ai jamais de projets à long terme. Par exemple, je ne sais même pas si je retourne au Tour de Guadeloupe (Pierre Lebreton est le vainqueur sortant, NDLR). Ce que je voudrais bien essayer, par contre, c'est le Championnat de France du contre-la-montre, au mois de juin. Je ne sais pas si le sélectionneur prendra le « risque » de me donner une place dans l'équipe, alors que j'ai peu de référence. Mais j'aime beaucoup les chronos et je pense pouvoir me préparer pour cette échéance.

« LE PREMIER MEDECIN A PASSER CYCLISTE PROFESSIONNEL »

Tu pourrais peut-être te rapprocher d'un coup à la Jean-Christophe Péraud. En 2009, il avait battu Sylvain Chavanel sur le championnat national, alors qu'il évoluait encore sous licence amateur. Après quoi, il est passé professionnel chez Lotto, à 34 ans.
Je ne me vois pas du tout gagner. Chavanel est dans un autre monde. Il m'est arrivé de rouler avec les pros. Tu vois bien que si tu accélères, ils te lâchent en ripostant.

Péraud était ingénieur et s'est longtemps consacré à ses études et à son métier avant de venir à la compétition et au cyclisme sur route. Pour ce qui concerne un passage tardif chez les professionnel, tu pourrais suivre son exemple ?
J'aimerais être le premier médecin devenu coureur cycliste professionnel. C'est un petit challenge que je me suis lancé. J'ai une grosse marge de progression. Donc, j'y crois. Fin 2015, j'aurai le droit de prendre une année sabbatique dans mes études. Qui sait si je ne pourrais pas me livrer à une saison entière de cyclisme, pour continuer de progresser et tenter ma chance de passer pro ?

Pourquoi avoir attendu la fin de tes années Espoirs pour rejoindre un club de division nationale ?
Je n'avais pas le temps de rouler pour être au niveau. Et je ne me sentais pas capable de viser haut. D'ailleurs, je ne voulais pas aller dans les deux clubs les plus proches de chez moi, le VC Rouen 76 et l'US Sainte-Austreberthe Pavilly Barentin, parce que je ne pensais pas atteindre le niveau DN1. Avec une année de recul, je me rends compte que c'était possible. Toujours est-il que je me suis engagé au Team Peltrax-CS Dammarie-lès-Lys, en DN3. Auparavant, je suis resté fidèle à l'UC Vallée de la Risle (basé à Bourneville, dans l'Eure, NDLR). Je courais toujours tout seul. C'est le président, Gérard Harnieh, qui me conseillait. Il m'accompagnait sur les courses ou alors il me prêtait la voiture du club.

« J'ATTAQUE AU DEPART ET JE TIENS JUSQU'AU BOUT »

Ton expérience de coureur a donc bondi de quelques étages au Team Peltrax ?
Oui. J'ai découvert la course en équipe, les épreuves par étapes, ma première compétition au niveau 1.2 avec Paris-Troyes... L'an passé, j'ai énormément appris et ce n'est pas fini. Je gaspille encore trop d'énergie. C'était le cas il y a quelques jours sur Paris-Evreux.

Samuel Plouhinec ne t'a pas transmis l'art de gérer les efforts ?
Si ! A l'arrivée, il m'a engueulé. Et il avait raison ! Quand il parlait, je baissais la tête. Le problème, c'est que j'adore rouler tout seul. Plouhinec m'a d'ailleurs rencontré sur les chronos en Normandie, et c'est ainsi qu'il m'a proposé de rejoindre son club. Dans une course en ligne, j'attaque au départ et j'essaie de tenir jusqu'au bout. Ça m'a réussi sur le critérium de Paris XIV l'an passé, pour ma première victoire chez les premières catégories. Ça m'a souri aussi sur le Tour de la Dordogne, quand je suis parti avec Benoît Sinner (Armée de Terre) et François Bidard (CR4C Roanne). Je pensais qu'ils allaient me battre à l'arrivée mais je les ai lâchés dans une bosse.

Un peu bourrin, tout ça ?
Quand tu restes dans les roues, le temps passe dix fois plus lentement. Certains coureurs sautent des relais, moi j'en prends de plus belle. Bon, c'est vrai, ce n'est pas comme ça qu'on gagne des courses. Mais j'ai un rêve à accomplir dans ma carrière : attaquer au départ d'une épreuve avec les pros, tenir en solitaire et lever les bras...

« JAMAIS DE PRISE DE SANG »

Tes études de médecine t'ont-elles apporté un avantage dans la connaissance de ton corps ?
Paradoxalement, non. Je roule sans m'intéresser à ma fréquence cardiaque, je contrôle seulement mon poids. Sur la supplémentation en vitamines, je ne suis pas très calé. Jamais de prise de sang pour surveiller mon fer ou d'autres paramètres. Je ne prends aucun complément alimentaire, à part de la levure de bière. Peut-être que certains coureurs ont davantage de gélules de confort dans leur trousse que de pâtes de fruits. Je ne les juge pas, mais moi je veux pas faire ça. Même un cachet pour dormir, je n'en voudrais pas. Trop peur de m'accoutumer...

Un « médecin » dans le peloton, c'est quand même une cible facile pour les plaisanteries ?
On fait parfois des blagues dans mon dos, quelques fois on me chambre en face. Mais j'ai du répondant ! Est-ce que je vais user de mon droit de prescrire ou me servir dans la pharmacie de l'hôpital ? Si c'était le cas, j'aurais d'autres résultats depuis longtemps !

Il y a aussi le mythe des étudiants en médecine qui prennent des médicaments pour tenir la cadence de la scolarité...
Ce n'est pas un mythe. Certains le font. Moi-même, il m'est arrivé la première année de prendre du Guronsan [le fameux mélange à base de caféine, vitamine C et sucre, par ailleurs non interdit par les instances antidopage, NDLR] mais sans ressentir vraiment d'effets. J'ai très vite arrêté parce que, cette fois encore, j'avais peur de l'accoutumance. Quand on est fatigué, il vaut mieux boire un café. Ou mieux : se reposer.

(1) Enfin pas exactement le premier. Avant la guerre de 14, Ludovic Feuillet, futur docteur en médecine, fut brièvement coureur puis directeur sportif. En 1912, le docteur Aldophe Dorion, de Moncontour en Bretagne, a disputé les Tour de France 1912 et 1913 sans les terminer. Eric Heiden, Champion olympique de patinage de vitesse, est passé professionnel dans l'équipe 7-Eleven. Il était aussi diplômé en médecine.

Crédit Photo : DR
 

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