La Grande Interview : Jérôme Mainard

Sans coup d'éclat, Jérôme Mainard s'est installé parmi les meubles du peloton DN1 en France. Une sorte d'horloge comtoise, rustique et « à l'ancienne », qui incarne la fidélité, une impeccable régularité et qui affichera cet été 28 années au cadran. Longtemps éclipsé par ses jeunes coéquipiers comme Jérôme Coppel et Arthur Vichot, ou par son aîné Benoît Luminet, le coureur du CR4C Roanne a gagné ses galons après une "maturité tardive". Aujourd'hui, il est promu capitaine de route de son club et cité parmi les outsiders de luxe sur la plupart des épreuves. Il n'a pas de SRM à l'entraînement et il déteste les calculs de toute sorte. Pour lui, seule la course est belle. Et bien sûr la victoire, quel qu'en soit le standing. Abandonner ? Jamais. "Ça ne m'est arrivé que deux fois en 2013, raconte-t-il lors de sa Grande Interview à DirectVelo.com. Ce n'est pas parce qu'on traîne en queue de paquet jusqu'à la mi-course qu'on ne va pas gagner. Il ne faut pas trop s'écouter. Même avec de mauvaises jambes, je ne bâche pas." L'horloge est taillée dans un bois robuste : malgré une chute en janvier qui lui a occasionné quelques points de suture au visage, Jérôme Mainard a ouvert son compteur 2014 par une victoire au Grand Prix de Saint-Saulge, dimanche dernier.

DirectVélo : Depuis la retraite sportive de Benoît Luminet fin 2011, es-tu le nouveau taulier du CR4C Roanne ?
Jérôme Mainard : C'est vrai que je suis « vieux ». Dans l'équipe DN1, je suis le plus ancien licencié du CR4C Roanne [depuis 2006]. Du coup, c'est à moi qu'est confié le rôle de capitaine de route. Parfois, des coureurs d'expérience comme Thomas Girard ou Thomas Welter occupent aussi cette fonction. J'aide les plus jeunes à bien se placer dans le peloton, notamment nos quatre Espoirs première année. Mais je ne suis pas le « taulier », parce que je ne suis pas impliqué dans le choix des coureurs au moment des mutations. Ces décisions relèvent de la compétence de nos directeurs sportifs, Vincent Garin et Aymeric Brunet, voire de Benoît.

Donc, tu te considères comme un ancien du peloton DN1 ?
Comme un ancien, avec une approche « à l'ancienne » des courses et de l'entraînement. Je suis très exigeant avec moi-même. Mais je ne suis pas le seul. Benoît Sinner me semble très bien incarner le rôle « d'ancien ». Il court à la perfection et apporte beaucoup à son club [l'Armée de Terre, NDLR], tout en discutant souvent avec ses coéquipiers sur le vélo.

C'est assez vieille école de cumuler les jours de course, comme tu aimes le faire ?
Oui, peut-être. Je compte 80 à 85 jours par an. Comme j'ai la chance de bien récupérer, j'en profite. Nos épreuves font 165 à 180 kilomètres de long au maximum, ce qui représente une distance très moyenne pour un professionnel. Les pros, je comprends pourquoi ils essaient de limiter le nombre de jour de course. Nous, les amateurs, on peut enchaîner plus facilement. Pas besoin non plus de micro-coupure. Je lève parfois le pied dans la semaine, mais je suis toujours sur le vélo le week-end. C'est aussi un respect dû aux organisateurs. Je prends ma voiture pour aller sur certaines épreuves, parfois bien éloignées de chez moi. Les organisateurs bénévoles font un travail extraordinaire et je n'ai pas envie qu'ils arrêtent. J'essaie de jouer le jeu. Si je ne suis pas au départ d'une compétition engagé par le club, je cours en individuel. Quand on est coureur, il faut courir !

« J'ESSAIE D'INTRODUIRE DES PETITES VARIATIONS »

Mais, depuis dix ans que tu as quitté le rangs Juniors, tu ne trouves pas répétitif de disputer plus ou moins le même programme chaque année ?
Forcément, notre activité est un peu répétitive. Mais j'essaie d'introduire des petites variations d'une saison à l'autre. Et puis, ça n'a rien à voir avec le travail dans une usine qui consiste à façonner la même pièce pendant quarante ans ! On ne sait jamais d'avance comment les choses vont se passer.

En course non plus. Contrairement aux Italiens qui adoptent des tactiques très structurées autour d'un leader par équipe, les coureurs amateurs français se lancent souvent dans des stratégies très mouvementées. Ce côté débridé paraît te convenir...
Oui, et cette façon de courir reste formatrice. La preuve, c'est que les Français obtiennent assez vite de bons résultats quand ils rejoignent le peloton pro. Dans nos épreuves amateurs, il y a beaucoup de pièges et il faut trouver la meilleure manière de s'en sortir. Si on a l'impression d'avoir perdu, c'est rarement la réalité. En 2012, sur le Tour du Piémont Pyrénéen, je me trouvais encore dans le peloton dans le final, pendant que Mickaël Larpe, pointé à une seconde de moi au classement général, était en échappée. J'ai réussi à rétablir la situation en l'espace de quelques kilomètres. Rien n'est jamais joué dans le vélo.

C'est une métaphore de la vie ?
Mais oui, le vélo est une école de la vie ! Je crois beaucoup à ces valeurs : « le travail paie toujours », « ne jamais baisser les bras »...

Toi-même, tu as galéré avant de devenir une valeur sûre du cyclisme amateur ?
J'ai eu une maturité tardive. Ma progression s'est faite doucement, sans gros déclic. Quand j'ai commencé la compétition en 1997, je n'arrivais pas à suivre le peloton. L'année suivante, je tenais les roues. Celle d'après, je m'échappais. Puis j'ai appris à gagner. Du coup, je n'avais pas un palmarès remarquable chez les Espoirs et je n'ai été sélectionné qu'une seule fois en Equipe de France, sur le Grand Prix Plumelec. Je me suis construit petit à petit, notamment grâce à l'expérience des anciens que j'ai rencontrés au CR4C Roanne, Benoît Luminet ou Guillaume Lejeune.

« A MON AGE, JE COURS POUR PRENDRE DU PLAISIR CHEZ LES AMATEURS »

Cette maturité tardive explique le fait que tu n'as jamais été pressenti pour rejoindre une équipe professionnelle ?
Oui. J'ai quand même eu quelques contacts avec le Team La Pomme Marseille en 2012, mais je comprends que les dirigeants ont préféré recruter des jeunes de leur région. Quant au Team Roubaix-Lille Métropole, j'ai compris dans la réponse des responsables de l'équipe que je ne « correspondais pas à leur profil de coureur ». Soit... Maintenant, c'est clair : à mon âge, je cours pour prendre du plaisir chez les amateurs. Il ne faut pas désespérer de trouver une place chez les pros parce que, à l'image d'une course cycliste, on n'a pas gagné ni perdu avant que la ligne soit franchie...

Depuis neuf ans, tu es fidèle au CR4C Roanne. Pourquoi cet attachement au club ?
J'avais une ouverture avec le SCO Dijon en 2011 mais les dirigeants du CR4C Roanne m'ont poussé à rester. Ils m'ont toujours témoigné leur confiance et leur soutien, même dans les moments difficiles. Autant que possible, par ma fidélité, par mes résultats, j'essaie de les remercier. J'ai aussi l'avantage d'habiter Roanne. Et je dois dire que c'est appréciable de se retrouver dans son lit trois-quarts d'heure après le retour des courses !

Qu'est-ce qui t'a rapproché de Benoît Luminet au point de devenir son compagnon de chambre sur les compétitions ?
Il a été un coéquipier puis un ami. On a les mêmes centres d'intérêt : les bonnes choses de la vie, les bons restos, les bons vins... Il est très méticuleux et j'essaie de l'être aussi. Mais je ne sais pas si c'est lui qui m'a appris à être rigoureux ou si je l'étais déjà avant de le rencontrer, ce qui fait que nous sommes rapidement devenus complices.

Tu te vois courir jusqu'à 37 ans, comme lui ?
Non. Il ne faut jamais dire « jamais », mais il y a d'autres choses à faire dans la vie.

« JE RESTE A L'ECOUTE DE MON CORPS »

Tu disais être exigeant avec toi-même. Sur quoi portent tes plus lourds sacrifices ?
L'entraînement, la compétition... Côté nourriture, j'aime profiter, par exemple en faisant un restaurant avec ma femme le week-end. Pour ce qui concerne l'entraînement, je roule aux sensations. C'est à-dire que je fais de gros volumes d'entraînement en restant à l'écoute de mon corps. Grâce au SRM, on peut savoir qu'on a monté une bosse à 350 Watts. Mais moi, je veux savoir à quoi ça correspond.

Et ton caractère exigeant en course, il se traduit de quelle façon ?
Je n'abandonne pas. Ça ne m'est arrivé que deux fois en 2012, deux autres fois en 2013. Ce n'est pas parce qu'on traîne en queue de paquet jusqu'à la mi-course qu'on ne va pas gagner. Il ne faut pas trop s'écouter. Même avec de mauvaises jambes, je ne bâche pas.

Comment peux-tu éduquer tes jeunes coéquipiers alors que tu as un mental aussi fort ?
C'est vrai, on m'a parfois reproché d'être excessif dans mes paroles. Parfois je vois des situations en course et que les jeunes ne voient pas. Maintenant, j'essaie de faire attention. Je ne m'exprime plus trop sur le vélo mais lors des débriefings, pour analyser les erreurs d'un coéquipier ou les miennes.

« LES JEUNES TROP SURS D'EUX M'ENERVENT »

Qu'est-ce qui t'énerve dans le vélo ?
Les jeunes qui sont trop sûrs d'eux et qui veulent nous apprendre à rouler. Tiens, il y en a même un qui m'a dit : « Ta carrière ne me fait pas rêver. »

C'est violent comme remarque !
Je peux le comprendre. S'il gagnait des épreuves internationales chez les Juniors et continue sur la lancée en Espoir, il passera certainement professionnel parce que c'est un schéma classique. Mais il doit gagner avant tout...

La victoire justement, tu la prépares longtemps à l'avance en sélectionnant tes courses ?
Non. Le plus important, c'est de gagner, quelle que soit la valeur de l'épreuve. Je n'aime pas la part de calcul. Aujourd'hui, en Coupe de France DN1, je suis malheureux de voir les équipes courir uniquement pour marquer des points. « On s'en fout des points ! Ils viendront avec les victoires » nous disait Gilles Pauchard [ex-directeur sportif du CR4C Roanne, aujourd'hui chez Cannondale et Sojasun espoir-ACNC, NDLR]. Ça ne nous a pas empêchés de remporter la Coupe de France en 2008. Un sacré souvenir ! Le VC Pomme Marseille et le CC Etupes étaient très forts cette année-là. Nous, on a pu compter sur un très grand Arthur Vichot lors de la dernière manche, le Tour du Gévaudan. Arthur est un ami, un type qui vit pareil dans la vie que sur le vélo. J'aime sa conception du cyclisme et de la victoire. D'ailleurs, quand j'ai gagné mon premier bouquet important, une étape du Tour du Chablais en 2008, Arthur avait abandonné mais il était venu m'encourager sur la ligne !

Crédit Photo : Etienne Garnier - www.velofotopro.com
 

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