M. Drujon : « Arrêter de penser qu’on est foutu à 30 ans »

Il avait sans doute réalisé sa meilleure saison chez les professionnels en 2013 et pourtant, Mathieu Drujon n’a pas été reconduit chez BigMat-Auber 93. "Cela a été une surprise ! Surtout après ma victoire sur la Classic Sud-Ardèche et mon bon début de saison. Malheureusement, 2013 était une année fatale où il ne fallait pas être en fin de contrat." D’abord jeune retraité du cyclisme, le routier-sprinter de 31 ans a finalement décidé de retourner chez les amateurs du VC Toucy. Il y retrouve ainsi son frère Benoît et son entraîneur, David Han. Pour www.directvelo.com, Mathieu Drujon explique sa décision.

DirectVélo : Pourquoi t’être décidé si tard à rejoindre le VC Toucy ?
Mathieu Drujon : C’était une décision difficile à prendre. J’ai longtemps hésité. Reprendre en amateur, ça demande beaucoup d’entraînement mais en même temps, ce ne sera plus mon métier comme ces dernières années. Cela veut aussi dire que je ne pourrais plus me consacrer au vélo à 100%. Le club m’avait d’abord demandé une réponse dès le mois d’octobre mais à ce moment-là, je ne pouvais pas m’engager. C’était trop tôt. Je n’étais pas sûr de moi. Depuis, le temps est passé. J’ai profité de ma famille, de mes enfants. J’ai profité de l’hiver pour souffler. J’ai continué à rouler régulièrement, même si moins intensément qu’auparavant. C’était surtout pour m’entretenir. Et finalement, le fait de rouler en groupe avec les copains m’a redonné envie de faire de la compétition.

« JE M'ATTENDS A GALERER AU DEBUT »

Les présences de ton frère Benoît et de David Han ont été déterminantes dans ta décision ?

Cela a joué ! Je serai déjà moins perdu avec mon frère et David Han à mes côtés. Avec David, on se connaît bien. Il était mon entraîneur ces deux dernières années. C’était presque logique que je continue avec lui. Maintenant, il faudra voir ce que je vais faire sur la route ! J’aurai quand même une approche différente de la plupart de mes concurrents. En amateur, beaucoup ont la vingtaine et ont pour but de passer pro. Moi, j’ai 31 ans et je reviens de chez les pros. Je ne sais pas trop comment je vais gérer ça. Je veux prendre du plaisir sur le vélo. Et pour ça, il faudra forcément avoir des bonnes sensations, être devant et donc avoir des résultats (rires). Je m’attends à galérer au début étant donné que je n’ai pas roulé comme les années précédentes cet hiver. Je sais qu’il ne faudra pas s’inquiéter si je ne marche pas de suite. Par contre, il faudra que ça vienne avec le temps... sinon ça ne servira à rien d’insister ! En tout cas, j’ai bien conscience que je ne peux pas recourir au plus haut niveau amateur avec les mains dans les poches.

Te souviens-tu de tes années amateurs ?
Oui, évidemment. Ça reste de bons souvenirs pour moi ! J’étais passé par le Vendée U assez tôt, dès ma sortie des Juniors. C’était déjà une grande équipe amateur et on courait comme des pros ! Maintenant, je ne sais pas comment je vais aborder ces courses amateurs. C’est une façon de courir différente de celles des pros. D’un autre côté, ce ne sera pas complètement nouveau puisqu’avec Big Mat, j’ai disputé pas mal de classe 2. Et j’y sentais déjà des différences avec les classe 1. Mais là, ce sera encore autre chose, plus décousu et avec plus d’à-coups. Ce sera donc d’autant plus dur pour moi de me réhabituer.

« J'AURAIS PU FAIRE UN BON POISSON-PILOTE »

Tu ne t’attendais surement pas à devoir quitter les pros si tôt...
Cela a été une surprise ! Surtout après ma victoire sur la Classic Sud-Ardèche et mon bon début de saison 2013. J’ai eu la malchance de me casser la clavicule sur la dernière étape du Tour de Picardie, juste avant mon deuxième pic de forme de la saison. Derrière, j’ai eu du mal à revenir alors que je visais notamment le Championnat de France sur un terrain qui pouvait me convenir. J’ai pas trop mal terminé ma saison, mais malheureusement 2013 était une année fatale où il ne fallait pas être en fin de contrat. Des coureurs comme moi se sont retrouvés sans contrat alors que d’autres, qui avaient encore un an de contrat, ne méritaient sans doute pas de rester chez les pros, même si ça peut sembler un peu dur. C’est la triste loi du sport. Il n’y avait plus de places dans les équipes, même pour les bons coureurs. De ceux en fin de contrat, seuls les très grands coureurs, qui gagnent plusieurs courses à l’année, ont pu rebondir. Moi, je m’étais vite fait une raison.

Ce week-end avait lieu la Classic Sud-Ardèche dont tu étais le tenant du titre...
Si on m’avait dit l’an passé sur le podium de cette course, que je serai chez les amateurs aujourd’hui, je ne l’aurai sans doute pas cru. Ce week-end, j’ai tenu à regarder la course. Ça m’a fait un petit pincement au cœur de ne pas pouvoir remettre mon titre en jeu. Parfois en cyclisme, on ne défend pas son titre parce que l’on est aligné sur une autre course mais là, les circonstances étaient différentes ! C’était bizarre. Je n’ai pas été aidé par les circonstances… Plus généralement, je veux aussi dire que si je vais assez vite, je suis d’abord quelqu’un qui a besoin d’être bien emmené, par un train ! Et cela n’était pas forcément mon cas ces dernières saisons. J’ai souvent dû me débrouiller seul. Mais je ne suis pas Bouhanni ou McEwen ! Et puis, je suis toujours tombé sur un ou deux coureurs plus forts que moi en course. Sur 200 mecs, ce n’est pas beaucoup, mais déjà assez pour me priver de la victoire (une victoire pour 23 Top 5 en huit ans chez les pros, NDLR). J’aurais aussi pu faire un bon poisson-pilote dans une plus grosse structure, mais je n’avais pas non plus les références d’un Chavanel ou d’un Engoulvent. C’est peut-être pour cela que personne ne m’a fait confiance.

« IL Y AURA DE L'ENJEU AU VC TOUCY »

Comprendrais-tu que ton âge ait également pu jouer en ta défaveur cet hiver ?

Oui et justement, parlons-en ! Je constate qu’il y a des choses ancrées dans les esprits ; des aprioris complètement infondés sur le cyclisme. Les managers ont toujours cette envie et ce fantasme d’aller chercher la petite perle rare chez les jeunes, quitte à les griller et en prenant des mecs pas encore opérationnels. Des jeunes passent pros alors qu’ils ne sont pas prêts et pendant ce temps, on fait partir des « vieux » d’à peine 30 ans, en pleine force de l’âge ! Il n’y a qu’à voir des Sylvain Chavanel ou Thomas Voeckler... Et que dire de François Pervis d’ailleurs ? Il explose à la trentaine ! Quand je vois ça... Il faut vraiment que les gens arrêtent de penser qu’on est foutu à 30 ans !

Au VC Toucy, tu auras donc l’occasion de te frotter aux jeunes espoirs du cyclisme français, et de montrer que tu n’es pas « foutu » ?
Peut-être (rires) ! Mais je ne pourrais pas continuer longtemps en amateur. 2014 sera une transition. Après, il faudra sans doute que je laisse tomber définitivement. Il va bien falloir que je retravaille pour vivre ! J’ai commencé un bilan de compétence récemment pour voir dans quel secteur je pourrais me reconvertir. Pour l’instant, c’est encore vague. J’ai dû laisser ces recherches en suspend mais je vais m’y remettre prochainement. En attendant, c’est un vrai challenge qui m’attend avec le VC Toucy. Il y aura de l’enjeu, et du boulot.

Crédit Photo : www.vctoucy.fr
 

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Mathieu DRUJON