La Grande Interview : Lorenzo Manzin

Physique d'athlète, plus en muscles que la moyenne des cyclistes, Lorenzo Manzin ne passe pas inaperçu dans le peloton. Avec une franche longueur d'avance, il s'est octroyé samedi la première épreuve de la saison route amateurs, les Boucles Catalanes. Sa pointe de vitesse n'est pas son seul atout. Le coureur du Team U Nantes Atlantique, bientôt 20 ans, membre de la Fondation Française des Jeux, se qualifie de "sprinter-puncheur". Il a d'ailleurs enlevé le très escarpé Tour de la Réunion en octobre dernier, sur son île d'origine, dans l'Océan Indien. Le super pouvoir de Manzin pourrait provenir de son sang froid. Isolé au milieu de ses adversaires du Vendée U, il n'a pas flanché pour la reprise de la saison. De même, très attendu par les supporters réunionnais, il refuse toute pression. Le succès sur les Boucles Catalanes ? "Un plateau relevé mais une épreuve inscrite en première catégorie seulement". Sa sélection pour le stage de l'Equipe de France Espoirs ? "Ce n'est qu'un stage". On pourrait croire à de la fausse modestie mais Manzin a surtout l'art de se construire sans heurt et sans jamais dévier de son projet de vivre en métropole, depuis qu'il a pris goût au cyclisme, à six ans.

DirectVélo : La première course de la saison est souvent remportée par un coureur d'expérience. T'es-tu surpris à lever les bras ?
Lorenzo Manzin : Je savais que j'avais fait un bon travail hivernal. Le plus dur, c'était de manœuvrer dans l'échappée de seize coureurs en étant le seul de mon équipe. Les Vendée U étaient représentés à quatre, donc je les laissais faire le travail. Par contre, je contrôlais les tentatives à plus de quatre coureurs. Comme j'étais entouré de grimpeurs et de puncheurs, j'avais logiquement ma chance au sprint. Je suis très content. Une victoire sur la première course du calendrier, c'est idéal pour lancer la saison de mon équipe et pour m'enlever de la pression personnelle.

Tu ne penses pas avoir plus de pression, au contraire ?
Non. Je serai certainement attendu pour la suite, ça fait partie du jeu. Mais j'ai déjà vécu ce genre de situation. Par exemple, quand j'ai été Champion de France de la course aux points chez les Cadets, en 2009, c'était une surprise. L'année suivante, je conserve mon titre, et c'est une confirmation. Cette saison, je voudrais aider le club à marquer des points en Coupe de France et progresser dans mes résultats.

« LE CYCLISME, UN PLAISIR IMMEDIAT »

Ton succès aux Boucles Catalanes semble en tout cas t'avoir redonné une place en Equipe de France ?
Je suis retenu pour le stage à La Londe-les-Maures, du 24 au 28 février (retrouver la liste des coureurs convoqués). Mais les dirigeants du club étaient en contact avec le sélectionneur avant ma victoire. Après ce stage, j'aimerais bien disputer des courses avec l'Equipe de France. Je garde de bons souvenirs de celles auxquelles j'ai participé en 2012.

Sur le Trofeo Karlsberg et le Tour d'Istrie, en Coupe des Nations Juniors, tu avais décroché le classement par points...
C'était presque involontaire parce que l'objectif de l'équipe consistait à remporter des étapes. En tout cas, j'avais beaucoup apprécié de me frotter aux meilleurs jeunes comme Mathieu Van der Poel ou Matej Mohorič.

Les grandes courses internationales te faisaient-elles déjà rêver quand tu as commencé le cyclisme, sur l'Ile de la Réunion ?
Je me suis rapidement intéressé aux courses à la télévision, les Championnats du Monde, les belles classiques flamandes ou le Tour de France qu'on regarde avec deux heures de décalage horaire. Mais si je me suis mis au vélo, à l'âge de six ans, c'est parce qu'un copain près de chez moi en faisait déjà. J'avais essayé le foot mais ce sport ne me bottait pas. Le cyclisme, par contre, c'était un plaisir immédiat.

« A l'ECOLE DE CYCLISME, DEJA UN ESPRIT DE COMPETITION »

D'autant que ce sport t'a permis de voyager ?
Oui. Ma première visite en métropole, c'était en 2002, en vacances chez une tante qui habitait Marseille. Mais dès l'année suivante, j'ai participé aux Championnats de France des écoles de cyclisme, à Contrexéville, dans les Vosges. Mon club, le VC de l'Est, avait déjà décroché le titre cinq fois consécutives. Tous les gamins voulaient être du voyage mais nous étions seulement deux sélectionnés par catégorie. Du coup, nous avions déjà entre nous un esprit de compétition. Ces Championnats restent un beau souvenir. J'avais gagné les jeux d'adresse. Nous avons reçu une médaille d'or et un petit maillot bleu-blanc-rouge.

Depuis cette date, tu as toujours voulu t'installer en métropole ?
Je voulais découvrir un nouveau style de vie. Nous sommes de nombreux Réunionnais à vouloir vivre en métropole mais pas beaucoup à y parvenir. Si on trouve du travail ou une copine sur l'île, on y reste...

Comment as-tu réussi ton implantation ?
La clef pour pratiquer le sport de haut niveau, c'était d'intégrer un Pôle Espoirs. Celui de la Roche-sur-Yon a accepté mon dossier. Les responsables ont un peu hésité au début parce qu'ils avaient eu quelques soucis avec des coureurs des Dom-Tom par le passé. Ils ont l'habitude de mettre les candidats à l'essai avant de leur donner leur chance, mais comme j'habitais à 10 000 kilomètres c'était un peu difficile de se rencontrer avant le début de l'année ! Aujourd'hui, tout se passe bien. J'ai obtenu mon Bac en 2012 et cette année je prépare mon BTS technico-commercial dans l'industrie du cycle. La communauté réunionnaise du Pôle s'est agrandie puisque nous sommes quatre désormais : David Rivière (Vendée U), deux coureurs Juniors et moi.

« SUR PISTE, J'AIMAIS LA SENSATION DE SURVITESSE »

Quand tu étais Cadet, tu partageais ton temps entre la Réunion et la métropole ?
Oui. En deuxième année Cadet, nous étions deux Réunionnais surclassés en deuxième catégorie. Les épreuves n'étaient pas très longues, aux alentours de 80 kilomètres. Nous, on s'arrêtait au bout de 70, sans chercher à jouer la victoire. Nous avions ainsi une bonne préparation dans les jambes pour les grands rendez-vous en métropole, comme les Championnats de France ou les manches du Challenge Madiot.

Tu as un gabarit très musculeux et des références au sprint. Pourquoi arrêtes-tu la piste en 2014 ?
Cette année, je fais le choix de la route. Nous avons un beau calendrier, avec des épreuves comme Liège-Bastogne-Liège Espoirs, le Tour de Bretagne, le Tour Alsace... Quand on n'est pas membre de l'Equipe de France de piste, on n'a pas un programme de courses franchement intéressant. En plus, les vélodromes les plus proches pour m'entraîner sont assez loin, que ce soit celui de Bordeaux ou de Saint-Quentin-en-Yvelines.

Tu iras rouler de temps à autre sur l'anneau de la Roche-sur-Yon, pour le plaisir ?
Si je le peux, oui. Cette discipline est celle de mes débuts. Nous avions une petite piste dans ma commune, à Bras-Panon (11 000 habitants, au nord-est de la Réunion, NDLR). D'emblée, j'ai aimé la sensation de survitesse. Tiens, pourquoi ne pas faire quelques Américaines cette saison, avec mes camarades de club, comme Kévin Fouache ou Clément Barbeau ?

« LE CYCLISME PEUT DEVENIR LE SPORT N°1 A LA REUNION »

Le Tour de la Réunion présente un parcours montagneux mais tu as réussi à le dompter en octobre passé...
Je suis un sprinter-puncheur. Et je n'aime pas attendre le sprint. C'est d'ailleurs un problème que je dois corriger. Le Tour de la Réunion s'est joué dans une bosse, sur la quatrième étape, à deux jours de la fin. J'avais perdu une bonne partie de mes chances à cause du marquage avec d'autres concurrents (principalement Sébastien Hoareau, du VC Caladois, NDLR). Alors, nous avons décidé de tenter le tout pour le tout, en attaquant avec un coéquipier. Devant j'avais trois autres relais. Une fois tous les cinq ensemble, nous avons creusé l'écart. C'était une sacrée journée !

Les journaux régionaux t'ont mis en photo à la « une », porté en triomphe par des supporters. Est-ce à dire que le cyclisme est un sport très populaire à la Réunion ?
Pas autant qu'en Guadeloupe, mais il y a de plus en plus de licenciés dans les clubs. Le football occupe la plupart des esprits, certainement parce que nous avons des joueurs qui réussissent plutôt bien leur carrière, comme Guillaume Hoarau à Bordeaux ou Dimitri Payet à l'OM. Mais je pense que le cyclisme peut devenir le sport numéro 1. Pour cela il nous faudrait encore quelques résultats...

Jamais aucun coureur réunionnais n'a disputé le Tour de France. Ton objectif est-il d'être le premier ?
C'est un rêve, bien sûr. Avec David Rivière, nous sommes actuellement deux coureurs dans la « réserve » d'une équipe professionnelle (Rivière évolue dans l'antichambre du Team Europcar, Manzin est membre de la Fondation Française des Jeux et il a à ce titre participé au stage des pros en début de saison, NDLR). Mais je ne m'entraîne pas tous les jours en espérant devenir le premier Réunionnais sur le Tour. Je ne suis pas le genre à me mettre la pression. Je veux simplement gagner des courses.

Crédit Photo : Carlos Meléndez - www.sportimagen.com
 

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