La Grande Interview : Benoît Luminet

La réputation de Benoît Luminet n’est plus à faire. Vainqueur de près de 150 courses chez les amateurs jusqu’à sa retraite sportive fin 2011, le grimpeur aura passé l’essentiel de sa carrière sous les couleurs du CR4C Roanne. Il reprendra du service en 2014 comme manager général de son club, en charge des stages et de l’approche humaine de ses athlètes. "Nostalgique" assumé du temps où il régnait sur le cyclisme amateur français, Luminet donne à DirectVelo.com son point de vue vif et averti sur le peloton actuel.

DirectVélo : A quelle cadence pratiques-tu le cyclisme aujourd’hui ?
Benoît Luminet : J’ai pas mal freiné depuis mai dernier. Je continue quand même de faire mes 2h30 trois fois par semaine. D’abord parce que je veux rester présentable physiquement (rires) et puis tout simplement parce que j’adore rouler. Je ne comprends pas ceux qui disent à la fin de leur carrière qu’ils sont dégoûtés. Le cyclisme reste ma grande passion. D’ailleurs, je vais essayer d’aller rouler de temps en temps avec les gars du CR4C Roanne. Et si je peux les flinguer quelques fois à l’entraînement je ne vais pas me gêner ! Bon, ça risque de ne pas durer longtemps, mais ce sera juste histoire de montrer que j’en ai encore sous le capot. Sur le ton de la rigolade évidemment ! Il faut se faire plaisir tant qu’on le peut.

« ETRE COUREUR, C’EST LA BELLE VIE »

Es-tu parfois nostalgique de ta vie de coureur amateur ?

Oui. Je pense même que les plus belles années de ma vie sont derrière moi. Evidemment, j’ai encore plein de projets et énormément de belles choses à vivre. Mais ce que j’ai vécu et ressenti de 20 à 38 ans grâce au cyclisme, il me sera difficile de le retrouver ailleurs. Je ne garde que d’excellents souvenirs de toute cette période. Je pense qu’un coureur ayant fait une carrière honnête et qui explique qu’il n’est pas nostalgique est un peu menteur...

Qu’est-ce qui te manque le plus dans cette vie de coureur ?
Etre coureur, c’est la belle vie tout simplement. Il m’est arrivé de galérer, de dormir dans des hôtels pourris ou de m’entraîner sous une pluie torrentielle ou sous la neige. Mais franchement ! Vivre des voyages, être sur le devant de la scène, faire la bise à des miss sur le podium (rires), ressentir l’adrénaline de la compétition et les frissons de la victoire… C’est top quoi ! Si je pouvais revenir vingt ans en arrière et tout recommencer, je le ferai sans hésiter !

Quel sera ton rôle au sein du CR4C Roanne en 2014 ?
Je vais être le manager général de l’équipe, même si je n’aime pas trop cette appellation. Plus précisément, j’assurerai le lien entre les dirigeants du club et la partie sportive. Je veux être un appui pour tous nos coureurs, même si je ne les fréquenterai pas aussi régulièrement que les directeurs sportifs et que je n’interviendrai pas dans les compositions d’équipes.

« SI JE PEUX AIDER UN COUREUR DANS LE DOUTE… »

Etait-ce un projet de longue date ?

J’avais décidé de rester en retrait du club ces dernières saisons, pour des motifs notamment professionnels. Mais je suis un Roannais pure souche et je me sens au CR4C comme à la maison. Le nouveau président du CR4C Roanne (Pascal Villa, NDLR) m’a demandé de venir apporter mon expérience dans ce projet en 2014. J’aurai du pain sur la planche. Je n’ai pas la science infuse et je ne suis donc pas à l’abri de prendre de mauvaises décisions.

Tu as déjà eu l’occasion d’exercer comme directeur sportif au club, notamment lors du succès de David Menut sur le Grand Prix de Cours-la-Ville l’été passé…
Un grand moment pour moi ! J’avais remporté cette course trois fois dans ma carrière et depuis que j’ai pris ma retraite, aucun coureur du CR4C n’avait pu s’imposer. Ce jour-là, je suis allé voir Thomas (Girard) dans le final et je lui ai dit qu’il fallait jouer la carte de David (Menut) à 100%. Pourtant, David lui-même ne se sentait pas capable de gagner, il disait avoir mal aux jambes. Je lui ai expliqué qu’il n’avait pas le droit de se louper et qu’il était le plus rapide au sprint. C’est plaisant de voir que les gars m’ont fait confiance et ont respecté ma tactique. Du coup c’était un peu comme si j’avais gagné !

Tu pourrais de nouveau diriger l’équipe sur le terrain ?
Ponctuellement, pourquoi pas. Mais je ne compte pas en faire un métier. Je risquerais d’être trop dur avec les coureurs. Aussi dur que ce que j’ai pu l’être avec moi-même pendant toute ma carrière. Et puis, les plannings d’entraînement ou l’aspect technique ne sont pas des choses qui me bottent plus que ça. Moi, ce que j’aime, c’est surtout l’aspect psychologique. Sans la tête, on ne peut rien faire sur le vélo. Si je peux aider un coureur dans le doute, lui redonner confiance, trouver les mots justes pour qu’il continue à se battre ou se remette en question, je le ferai avec plaisir.

« GIRARD ET RAIBAUD DEVRAIENT DAVANTAGE PENSER A EUX »

Quel regard portes-tu sur la saison 2013 du CR4C Roanne ?
Le groupe a mis un certain temps à trouver le chemin de la victoire. Il faut dire que l’effectif était avant tout composé de coureurs qui brillent avec l’arrivée des beaux jours. Et vu que nous avons eu un Printemps dégueulasse… Pour ce qui concerne les individualités, le gros regret restera la saison blanche de Jimmy Raibaud alors qu’il avait le maillot tricolore sur les épaules. Je pense que sans sa blessure au genou, il aurait déjà pu passer pro (lire ici). Au rayon des bonnes nouvelles, je retiens un très bon David Menut et un Thomas Welter qui s’est bien intégré en tant que capitaine de route.

Et pour 2014 ?
C’est dommage de perdre David Menut mais je comprends parfaitement son choix : à l’Armée de Terre, il pourra trouver des infrastructures que nous ne pouvons pas lui offrir. J’espère que Jimmy Raibaud pourra retrouver son niveau. Je compte aussi sur Sébastien (Bergeret) qui nous vient du CC Etupes. Nous avons un gros collectif et une bande de copains. Les coureurs du CR4C n’ont aucun problème à se sacrifier les uns pour les autres. A ce niveau-là, ça peut faire la différence. Le plus fou, c’est que des hommes forts de l’équipe comme Thomas Girard ou Jimmy Raibaud ont même tendance à être un peu trop collectifs. Ils devraient penser à eux un peu plus souvent (rires) !

Pour parler de deux hommes forts du peloton, que penses-tu de Benoît Daeninck (lire ici) et de Benoît Sinner, qui affirment s’éclater bien plus chez les amateurs que lorsqu’ils étaient professionnels ?
Je les comprends parfaitement. Lorsqu’on passe pro, on voit très vite si on pourra un jour devenir un leader ou un simple équipier modèle. Ces mecs-là, ils ont eu du mal à percer dans l’Elite, mais ce sont surtout des hommes fiers et orgueilleux. Rester en amateur leur permet de gagner des courses et de se faire plaisir. En plus, ils gagnent certainement leur vie aussi bien chez les amateurs qu’en continentale. Sans dénigrer ces équipes de troisième division, elles ne doivent être qu’un tremplin vers une équipe mieux structurée. Rester dix ans dans une « conti », ce doit être très dur psychologiquement parce qu’on ne prend pas le départ des courses dans les mêmes conditions que les autres. J’ai connu ça avec Besson Chaussures (lors de sa seule année professionnelle en 1999, NDLR). Les « conti » ont le mérite d’être là, mais on ne peut pas y faire carrière.

« LA COUPE DE FRANCE A UNE VALEUR TRES RELATIVE »

Que peuvent apporter ces ex-professionnels dans le peloton amateur ?

De l’expérience auprès des jeunes. Quand un jeune Espoir arrive à battre un Daeninck en grande condition sur les routes du Nord, vous pouvez être certain que les directeurs sportifs vont s’intéresser à ce gars-là. Daeninck ou Sinner sont des baromètres du cyclisme amateur français.

A propos de thermomètre, quelle place occupe la Coupe de France DN1 dans le cyclisme amateur, selon toi ?
La valeur d’une victoire est très relative. Elle n’apporte absolument rien, si ce n’est une poignée de main avec les élus. En 2008, le CR4C Roanne a touché le graal avec sa victoire en Coupe de France mais rien n’a changé l’année suivante. Nous n’avons pas eu plus de partenaires par exemple. Je pense que l’on touche là les limites du monde amateur.

Que dirais-tu à l’un de tes jeunes coureurs qui n’arriverait pas à passer professionnel à l’âge de 23 ou 24 ans ?
Si on ressent toujours de l’adrénaline en course, on peut rester coureur jusqu’à 26 ans environ. Mais il faut savoir passer à autre chose à un moment donné. En toute humilité, je pense qu’il n’existera de toute façon plus jamais de coureurs comme Samuel Plouhinec ou moi-même, prêts à faire vingt ans chez les amateurs (rires). Ce n’est plus possible : il faut bien se nourrir ! Certains sont des champions, d’autres non. Une fois que l’on a compris ça... Je vois souvent des coureurs aigris de ne pas avoir pu marcher comme ils l’auraient voulu. Ils font des allusions à certaines dérives que l’on connaît, pour justifier leurs contre-performances. Ces propos-là m'hérissent le poil. Il n’y a pas de honte à ne pas avoir pu passer professionnel !    

Crédit Photo : Nicolas Gachet - www.directvelo.com
 

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